« Il est des instants où la vision précède toute reconnaissance. Le monde ne s’y donne plus comme chose vue, mais comme surgissement. Ce que l’on voit n’est encore rien, et pourtant cela nous atteint, comme un appel sans nom.»
Tiré du journal de Sang Chaud*
Don Carotte mit un certain temps à voir. Ou à comprendre, non ce qu’il voyait, mais qu’il voyait.
– C’était une étrange sensation, il me semblait que je voyais réellement pour la première fois… et pourtant ce que je voyais, l’image qui se formait dans ma tête était parfaitement non reconnaissable… au point que sur le moment, j’eus pu dire qu’il n’y en avait point! C’était étrange. Je voyais sans voir. Puis, lentement, l’image se formait, je le savais mais je ne voyais pas ce qu’elle voulait dire… car, en cet instant, il ne s’agissait pas d’un animal connu, ni d’un insecte, ni même d’un objet. Ce que je voyais, ou croyais voir, était un être, mais de forme indéfinissable.
Parfaitement inconnu de lui. Il écrira plus tard dans son journal:
Minuscule, à peine visible, même en fixant avec toute l’acuité de l’attention. Il était là, posé sur l’arbre géant, mais il ne semblait ni l’habiter, ni y être accroché. Plutôt comme s’il en faisait partie, sans l’être tout à fait.
Il bougeait. Par à-coups, avec des gestes qui n’évoquaient rien de connu. Ni le déplacement d’un corps articulé, ni le repli d’un animal, ni même une lumière. Plutôt comme un glissement de dimension, un repliement de la matière sur elle-même, qui donnait parfois une impression de bras, puis d’aile, puis d’œil, mais sans jamais se fixer dans une forme. Et ce mouvement-là, ce rythme-là, n’obéissait à aucun souffle terrestre.
Mais Don Carotte n’eut aucun doute.
Il était regardé.
Par cet être. Par cette minuscule chose mouvante, posée sur l’écorce du géant qui, lui, ne cessait de grandir. Un regard sans pupille, sans direction apparente. Mais un regard quand même. Il le sentait dans chacun de ses os. Un regard qui traversait, qui pesait, non sur les chairs, mais sur la pensée. Comme si ce qui se trouvait là comprenait, devançait même, tout ce qu’il allait ressentir.
Et plus il le fixait, plus la perception de l’être s’altérait. Il était minuscule, certes, mais à mesure qu’on tentait de le cerner, il grandissait dans l’esprit. Il prenait de la place non dans l’espace, mais dans l’attention. Il devenait central, absorbant toute notion de distance, d’échelle, de logique. Il était ce qu’on ne devait pas nommer, car lui donner un nom, c’eût été le faire exister ailleurs que dans l’arbre. Et cela, instinctivement, Don Carotte le redoutait.
— Il est là depuis le début, dit Sang Chaud, presque à voix basse, comme s’il s’adressait à l’arbre plus qu’à son maître.
— Qui ?
— Lui.
Il n’en dit pas plus. Il n’en avait pas besoin. L’instant s’épaississait. Le silence lui-même devenait matière.
Quelque chose était là.
Quelque chose regardait.
Et maintenant, quelque chose attendait.
Il bougeait. Par à-coups, avec des gestes qui n’évoquaient rien de connu. Ni le déplacement d’un corps articulé, ni le repli d’un animal, ni même une lumière. Plutôt comme un glissement de dimension, un repliement de la matière sur elle-même, qui donnait parfois une impression de bras, puis d’aile, puis d’œil, mais sans jamais se fixer dans une forme. Et ce mouvement-là, ce rythme-là, n’obéissait à aucun souffle terrestre.
Mais Don Carotte n’eut aucun doute.
Il était regardé.
Par cet être. Par cette minuscule chose mouvante, posée sur l’écorce du géant qui, lui, ne cessait de grandir. Un regard sans pupille, sans direction apparente. Mais un regard quand même. Il le sentait dans chacun de ses os. Un regard qui traversait, qui pesait, non sur les chairs, mais sur la pensée. Comme si ce qui se trouvait là comprenait, devançait même, tout ce qu’il allait ressentir.
Et plus il le fixait, plus la perception de l’être s’altérait. Il était minuscule, certes, mais à mesure qu’on tentait de le cerner, il grandissait dans l’esprit. Il prenait de la place non dans l’espace, mais dans l’attention. Il devenait central, absorbant toute notion de distance, d’échelle, de logique. Il était ce qu’on ne devait pas nommer, car lui donner un nom, c’eût été le faire exister ailleurs que dans l’arbre. Et cela, instinctivement, Don Carotte le redoutait.
— Il est là depuis le début, dit Sang Chaud, presque à voix basse, comme s’il s’adressait à l’arbre plus qu’à son maître.
— Qui ?
— Lui.
Il n’en dit pas plus. Il n’en avait pas besoin. L’instant s’épaississait. Le silence lui-même devenait matière.
Quelque chose était là.
Quelque chose regardait.
Et maintenant, quelque chose attendait.
* Inspiré de la phénoménologie existentielle d’Henry Maldiney
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