– Je n’étais plus certain d’avoir un corps. Ni d’avoir marché. Ni même d’avoir jamais quitté cette clairière.
Ce qui était là, dans l’arbre… lui seul le savait, Don Carotte fixait l’arbre depuis un long moment, dans un silence si intense qu’il semblait avoir absorbé le moindre battement de cœur. Il ne bougeait plus. Tout son être s’était resserré dans la vision, tendu vers cette forme gigantesque, vers ce tronc vaste comme une tour ancienne, constellé de marques, de bourrelets, de crevasses où l’ombre s’enfonçait.
C’était une concentration sans faille, presque douloureuse. Il observait l’écorce comme un soldat observe le lointain d’un champ de bataille: non pas pour y voir quelque chose, mais pour y détecter ce qui pourrait se produire. Et puis il y eut un frémissement. Léger. Presque imperceptible. Mais ce fut suffisant pour faire vibrer quelque chose dans son regard. Un plissement du front. Une tension dans les mâchoires.
Quelque chose avait bougé.
Pas l’arbre tout entier. Non. Mais sur lui. À la limite du visible. Dans une des anfractuosités du tronc, où les motifs se fondaient en formes organiques, entre les lignes et les creux, il y avait eu un glissement. Une variation dans la texture. Comme si un fragment d’écorce avait pris une inspiration. Ou comme si un lichen s’était déplacé de lui-même.
– Sang Chaud… murmura-t-il, sans détourner les yeux.
– Je sais, répondit simplement le guide. Car ici, c’était lui qui savait. C’était lui, depuis le début, qui ouvrait le chemin, qui restait lucide quand le prétendant chevalier sans monture s’égarait dans des visions. Mais là, même lui semblait réduit à l’essentiel: un souffle dans l’air lourd, une silhouette silencieuse à quelques pas.
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