« Les grandes forêts de l’Inde occidentale ne sont pas simplement des amas d’arbres, mais des républiques obscures, entées sur elles-mêmes, où chaque plante, chaque rameau, chaque liane vit d’un pacte ancien avec les autres. L’homme n’y pénètre point, il y est avalé, comme l’air dans les narines d’une bête endormie.»
D'après Sir Hans Sloane, médecin et naturaliste, Journal of a Voyage to the Islands Madera, Barbados, Nieves, S. Christophers and Jamaica (1696–1701), interprété librement à partir de ses observations.
– Sang Chaud mon ami, mon double court sur pattes, mon interprète sylvestre et mon calendrier ambulant. Il faut que tu saches, et je te prie de ne point m’interrompre trop tôt, que cette aventure que tu crois avoir commencée dans les bois, ou sur une île, ou dans un rêve plus dense que l’écorce d’un vieux châtaignier, n’a pas été inventée pour passer le temps. Ni pour la gloire, encore moins pour la science (que je respecte, quand elle respecte mes illusions). Elle fut, comme tant de grandes choses semée par hasard et poussée par fatigue.
Car vois-tu, j’étais las. Je voulais du nouveau. Quelque chose de vivant… De l'irraisonnable… et surtout, du silence qui bruisse de vie.
C’est alors que j’ai, par je ne sais quel miracle, entendu parler de cette île. Non, Sang Chaud, ne dis rien. Je sais bien que tu ne m’as rien dit, justement, c’est cela qui m’a mis la graine à l’oreille. Tu t’es contenté de me guider, l’air de rien, vers cette forêt qui pousse en dehors de toute logique géographique, sur un caillou volcanique où même le sol est hésitant.
Car vois-tu, j’étais las. Je voulais du nouveau. Quelque chose de vivant… De l'irraisonnable… et surtout, du silence qui bruisse de vie.
C’est alors que j’ai, par je ne sais quel miracle, entendu parler de cette île. Non, Sang Chaud, ne dis rien. Je sais bien que tu ne m’as rien dit, justement, c’est cela qui m’a mis la graine à l’oreille. Tu t’es contenté de me guider, l’air de rien, vers cette forêt qui pousse en dehors de toute logique géographique, sur un caillou volcanique où même le sol est hésitant.
Extrait du journal de Don Carotte
La forêt s’étalait à perte de vue, dense, souveraine, comme un continent de feuillage vivant. Rien n’y semblait livré au hasard: les arbres colossaux formaient des rangées silencieuses, les lianes tombaient comme les fils d’un métier invisible, tissant l’air entre les troncs, et jusqu’au sol, tout était occupé, conquis, stratifié par la matière vivante.
La lumière s’y faisait rare, tamisée par des épaisseurs de feuillage, comme filtrée par un vitrail organique. Elle tombait en nappes vertes, animant les mousses, les lichens, les fougères dans une chorégraphie lente. Chaque chose dans ce monde avait son odeur, son grain, son bruissement propre. On aurait pu croire que cette forêt parlait, non pas une langue humaine, mais celle du temps végétal.
Je notais: l’écorce rugueuse du "ceiba", la luisance huileuse des feuilles de caoutchouc sauvage, les insectes aux carapaces laquées, le vol erratique de papillons trop colorés pour être réels. Je pensais pouvoir tout classer, nommer, comprendre. Je pensais encore — naïvement, que j’étais à l’extérieur de cette chose.
Mais, déjà, quelque chose changeait. Subtilement. Une sensation… presque rien. Un inconfort diffus, une raideur dans la nuque, un battement un peu plus rapide du cœur. Le sol devenait spongieux, les chemins disparaissaient derrière moi, engloutis. Et les arbres… ils se rapprochaient, non pas physiquement, mais dans leur intention. Il me sembla, un instant, que l’un d’eux avait bougé... ou bien était-ce moi?
La lumière s’y faisait rare, tamisée par des épaisseurs de feuillage, comme filtrée par un vitrail organique. Elle tombait en nappes vertes, animant les mousses, les lichens, les fougères dans une chorégraphie lente. Chaque chose dans ce monde avait son odeur, son grain, son bruissement propre. On aurait pu croire que cette forêt parlait, non pas une langue humaine, mais celle du temps végétal.
Je notais: l’écorce rugueuse du "ceiba", la luisance huileuse des feuilles de caoutchouc sauvage, les insectes aux carapaces laquées, le vol erratique de papillons trop colorés pour être réels. Je pensais pouvoir tout classer, nommer, comprendre. Je pensais encore — naïvement, que j’étais à l’extérieur de cette chose.
Mais, déjà, quelque chose changeait. Subtilement. Une sensation… presque rien. Un inconfort diffus, une raideur dans la nuque, un battement un peu plus rapide du cœur. Le sol devenait spongieux, les chemins disparaissaient derrière moi, engloutis. Et les arbres… ils se rapprochaient, non pas physiquement, mais dans leur intention. Il me sembla, un instant, que l’un d’eux avait bougé... ou bien était-ce moi?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire