samedi 2 septembre 2006

Théâtre à la belle étoile (39)


Un flot de questions se pressent à l'entrée de ma bouche.
- Dites-moi Grand Fanfaron, pourquoi ne pas faire en public ce que j'ai vu tout à l'heure, cette arrivée spectaculaire... ces hommes oiseaux qui jouent cette musique merveilleuse que vous semblez posséder vous aussi lorsque vous posez cette baguette si redoutée et que vous manipulez votre accordéon avec de si grandes caresses ? Pourquoi ne pas en faire profiter un plus grand nombre ? Il planta ses yeux dans les miens et se pencha vers moi. Je ne le reconnaissais plus.
Je pense que ce fut l'unique occasion où il répondit à ces questions si pressantes.
Roulement de tambour: crescendo.
- Pauvre homme, crois-tu un seul instant que ce que tu crois avoir vu s'est passé réellement ?
Un léger frisson courut le long de mon dos. Frottis de cymbale.
- Imagine toi ce qui se passerait si tout ce en quoi tu crois n'était que chimères et vanité ?
Ma tête allait éclater. Roulement de tambour: assez fort.
- Crois-tu réellement que tout ce que tu as vu s'est réellement passé ? Crois-tu réellement que celui que tu nommes Désiré soit aussi grand que tu le penses ? Crois-tu réellement qu'à ton âge tu sois encore en train de grandir ?
Un seul coup sur le tambour: très fort. Trop fort, trop de question. Ma tête n'est plus là. Violon désaccordé.
Deux oiseaux se sont posés sur le bord doré de mon assiette et picorent allègrement. On eut dit une piste où virevoltaient deux oiseaux géants. Ils se battaient pour le dernier morceau. L'assiette glisse au bord de la table, tangue dangereusement et tombe. Les éclats s'envolent dans le même mouvement que les deux oiseaux.
La table est vide. Comment ai-je pu voir un palais dans cette morne roulotte où j'ai peine à me retourner et que je puis prendre entièrement entre mes deux bras ?
L'accordéon rend son dernier soupir.
Le Grand Fanfaron dort à même la table sous laquelle je me fraye un chemin malaisé. Sans ouvrir les yeux, il marmonna, à mon intention, je suppose.
- Je ne suis que ce que tu crois que je sois.
Sous le ciel sans étoile, je cours et j'écarte à nouveau les bras dans l'espoir de ne rien y rencontrer.

Le réel et le passé de Don Carotte
se présente sous un jour nouveau
sous l'emprise de la boisson
et du Grand Fanfaron
dans la lumière glauque de son obscure roulotte.
Lidane Liwl
Édition "Les mots disparus"

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