vendredi 12 février 2016

12 février (41)

Divine providence
 Épisode 41

– Qu'est-ce qu'un roi sans royaume?
Inlassablement, et depuis toujours, le Colonel Ortho s'interroge.
Il me faudrait un peuple sur lequel je puisse m'appuyer, qui me procure gloire et tendresse...
Ses rêves ne manquent pas de grandeur...


Quand le Colonel a-t-il décidé
de raconter ses expériences extraordinaires,
et pour quelles raisons mystérieuses l’a-t-il fait ?
De bien trop vastes questions, sans doute, d'autant plus
qu'il n'est rien d'aussi infidèle qu'un récit ou une image.
Mais y a-t-il d'autres moyens?




Il arrive que le Colonel se souvienne avec émotion de ses lectures de jeunesse. Certes les souvenirs, conformes à leur nature, se déforment quelque peu. Le Colonel n'en a cure. D'ailleurs, il ne s'en doute même pas et c'est sans vergogne qu'il endosse, tour-à-tour, les costumes et les tournures :

"Marat :
– On m'a dit que tu voulais redonner un roi à la France, ou te faire roi toi-même : tu devais être sûr d'échouer dans ce projet.

Robespierre aussitôt lui répond :
– On a dit, on a dit, tu crois donc, toi, à ce qu'on dit ? N'étais-je pas plus que roi, ou dictateur, ou empereur ! Que m'importait le nom puisque j'avais la chose. Le malheur est venu de ce que je n'ai pu la consolider. Il fallait demander ce que j'attendais que l'on m'offrit : le peuple me l'aurait accordé, et mes ennemis auraient fait des efforts impuissants pour m'abattre..."*


– De tout petits changements, si minimes soient-ils,
trahissent les efforts pour modifier le sens d'une vie...


Si le Colonel avait pu connaître l'avenir, il se serait vu sur le ponton désert de son palais. Il aurait pu entendre les conversations qui commencèrent ce jour-là avec son chien. Le Colonel aime beaucoup les chiens. Il était loin de se douter que ce qu'il vivait là compterait parmi les plus belles heures de son existence.
Le chien :
– On m'a dit que tu voulais redonner vie et espoir à humanité, quitte à te sacrer roi toi-même : comment pouvais-tu être assez fou pour oser de telles pensées?
Le Colonel :
– On a dit, on t'a dit... Qui te l'a dit?
Le chien :
– Peu importe, les mots se promènent et qui peut dire avec certitude qui en serait le maître et encore moins l'auteur...
Le Colonel :
– Tu crois donc, toi, à ce qu'on dit ou à ce qui se dit... ? Ne suis-je pas plus que roi, ou dictateur, ou empereur ! Que m'importe le nom puisque j'ai la chose. Tout cela a déjà été dit. Le malheur vient de ce que je ne peux m'en souvenir. Il eut fallu que je m'exprime plus clairement à propos de ce que j'attendais que l'on m'offrit : mon peuple me l'aurait accordé, et mes ennemis auraient fait des efforts impuissants pour m'abattre... Il est vrai que j'ai tendance à confondre le présent et le passé...
Le chien :
– Faisons silence, si l'heure est grave, mon maître, il n'est jamais trop tard pour bien faire. Abstenons-nous de toute parole indigne et mettons-nous en marche...

Curieusement, si le Colonel n'était guère surpris d'entendre son chien parler, il était stupéfait de la justesse de ses propos. Il se demandait comment un chien qui commence à peine de parler peut formuler sa pensée de façon aussi claire. Il en déduisit pour la première fois que quelque chose lui échappait dans l'ordonnance de son monde...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Tempus edax, homo edacior !"


*Dialogue entre Marat et Robespierre
Édité en l'an deux de la République française

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Dura lex, sed lex !" 


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