dimanche 31 mai 2020

(31) C'est là qu'il en est...




– Est-ce que vous arrivez à suivre l'histoire de Pinocchio, l'Autre?
– Pour autant que je sache... oui.
– Comment faites-vous?
– Je la mémorise.
– Vous pourriez me la répéter dès le début?
– Sans problème. « Hier, comme tant d’autres jours jours, en une brume matinale, au premier temps d’une lune, un arbre isolé se dresse. Dans cet arbre, une voix, impatiente mais quelque peu hésitante, se fait entendre: Ceci… ou cela arrivera demain, ou peut-être avant… ou peut-être après. Un jour, peu importe quand, un homme, hors de lui, discrètement, comme s'il se glissait par la fenêtre, verra un arbre sur un grand arbre. Avez-vous entendu ce petit bruit?  Un cri peut-être, qui, au loin, comme un tout petit incident, déclenche ce que vous ne savez pas. Pas encore. À l’exacte moitié du temps d’une lune, plus qu’il ne suffit, les nuages chantent, protègent et arrosent les grands champs. Au loin, à nouveau on entend un sourd grondement. Tremblant, un oiseau silencieux, perché sur un arbre, écoute venir à lui les assauts furieux de l’eau et du feu venu des cieux. Le nombre de leurs batailles augmente rapidement. Escarmouches bruyantes, brusques fureurs et lancinantes brulures, dialoguent comme des sourds. Chagrins barbares. Au-delà des frontières du visible, les yeux et les ailes de l’oiseau fatigué se sont fermés. Au temps plein d’une lune, ses plumes en bataille, elles aussi, ne pouvaient plus couvrir sa maigre tête. Aujourd'hui, au temps premier du déclin d’une lune, l’homme sur la rive du déluge est rivé. Vis-à-vis impie, clair rival et sombres rivalités, les courants sont contraires. Difficile de traverser la folie d’une rivière qui traverse une forêt de troncs charriée par la mort. Dans son lit, Charon y assemble les arbres morts. À travers la forêt, broyant les rochers, la barque du passeur grossit. Le lit aussi. Une nouvelle lune, pour un temps, à nouveau se présente. L’homme au loin, pourtant, malgré son impuissance, se met en mouvement. Il ferme les yeux. Sa marche se fait dans l'ombre de l'arbre qu’hier, demain ou jamais, avec ou sans lune, il ne voyait. Bientôt, il entendra, sans pour autant les voir, des gens gémir et pleurer au prix de leur passage. Certains mots étranges se dispersent dans le bois mort, gisante forêt grandissante. Ils révèlent une vérité inattendue liée aux images et aux créatures de l'obscurité. Secrètement, lorsque le temps d’une lune est épuisé, les arbres se connectent et collectent des volcans. Lentement la sève monte. L'arbre se transforme et, de temps à autre, fleurit. Des fleurs comme des oreilles. L’arbre est à l’écoute, il se donne à voir, pendant qu’en son intime son écorce craquelle et puis se fend. Percé de toutes parts, l’arbre s’étend et vers le ciel se penche. L'arbre poursuit sa mue. De temps à autre, s’arrachant à leurs maux, certains rameaux disparaissent. Cette nuit-là, sans se faire voir, un arbre voisin a pris la fuite. Déraciné sans bruit, il a sauté dans les nuages. Mots étranges. Très loin, un autre son se fait entendre. Pour certains c’est comme un craquement et pour d’autres comme une longue plainte. À peine vous comprenez sa signification, elle disparaît. En secret l’arbre poursuit sa mue. Au matin, sans violence, des cellules en fusion emplissent ses branches. L’arbre s’étend. Il lui faut quelques heures pour briser la voûte de l’au-delà. Dans la nuit, le soleil rouge se meurt... 
La saignée se répand sur les lointains horizons. Maintenant, comme en plein jour, dans le feuillage de l’arbre transpercé, en pleine nuit, dans le ciel, sa lumière éclatée brille de partout. L’homme se croit en pays sage et contemple au loin ce qu’il avait sous la main. Dans le chaos de la nuit s’inscrit l’ordre qu’il imagine. Il peut y voir l'endroit idéal pour ses ravissements et diverses croyances.»
C'est là qu'il en est...




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