dimanche 20 avril 2025

 « Il vous est venu une superbe idée dont vous rêveriez de faire un livre? Ne vous empressez pas de passer à l'exécution; ce n'est pas nécessaire, car vous pouvez être sûr que, tôt ou tard, quelqu'un d'autre aura la même idée... et en fera un usage parfait.
Je vous parle d'expérience. Il y a dix-huit ans que je caressais le projet d'écrire l'histoire des naufragés du Batavia. J'ai collectionné à peu près tout ce qui se publiait sur le sujet; puis j'ai fait un séjour aux îles Houtman Abrolhos, site du naufrage. Au cours des années, j'ai continué à accumuler les notes, mais sans jamais me résoudre à écrire la première page de ce fameux ouvrage en gestation qui, dans l'imagination de plus en plus sarcastique de mes proches, commença tout doucement à prendre une dimension mythique. De temps à autre, il m'arrivait d'apprendre qu'un nouveau livre venait de paraître sur mon sujet; j'en avais une sueur froide, et je me précipitais dessus en tremblant. Mais non, ce n'était qu'une fausse alerte; je m'apercevais bien vite, avec soulagement, que l'auteur avait encore une fois manqué la cible, ce qui renforçait mon faux sentiment de sécurité. Une ou deux fois cependant, je sentis passer le vent du boulet, mais je ne sus pas en tirer la leçon.»

Simon Leys, Les naufragés du Batavia, Points
 
 




– Y a-t-il un monde au-delà du nôtre?
– Pour le savoir il faudrait déjà connaître si le nôtre a des limites…
– Et si tel était le cas?
– Alors effectivement la question se poserait.
– Alors quelle serait votre réponse?
– Je crois qu’il est difficile… si ce n’est impossible d’imaginer cela… Pour commencer je crois qu’il nous faudrait déterminer ce que nous croyons à partir de ce qui pourrait être sûr… ce qui pourrait être incontestable et sur lequel nous pourrions nous appuyer…
– Et alors?
– Alors… malheureusement je ne crois pas que nous serions plus avancés…
– Serions-nous condamnés à être des naufragés pour l’éternité?
– Naufragés… peut-être… mais l’éternité… vous voilà bien présomptueux… Notre vie, à l’instar de toute autre est limitée… Certes chaque jour nous pouvons envoyer quelques mots, mais ces mots trouveront-ils lecteurs? Rien n’est moins sûr…



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