« Est-ce un rêve que la nonchalance active du sommeil a pourvu de plus franches couleurs, plus troublantes à la fois et moins périssables que celles d'une réalité devenue obscure dont il n'eût servi à rien de remuer les cendres si elles sont froides? De toute cette matière assoupie il ne subsiste qu'une part infime passée au crible d'une langue qui se cherche et cherche à s'en rendre maître, qu'elle modèle, tisse selon une loi que le hasard impose, ou parfois même suscite à partir de rien là où c'est sa fonction, et sa vanité, de restituer la vie à ce qui n'en avait plus comme de la dispenser à ce qui n'en aurait jamais eu sans elle. Aussi vide de raison d'être que la nécessité qui l'enchaîne, ce rêve dont la répétition est le principe ne prend consistance que pour autant qu'il s'élabore et se maintient hors d'un souci pointilleux de véracité auquel se soumettre reviendrait paradoxalement à se masquer, or il faut se découvrir dans le double sens du terme, quitte à n'apparaître que pour disparaître au plus vite, comme un acteur qui répugnerait à soutenir longtemps son rôle et pour lequel le plein feu de la scène est un endroit de perdition, les moments où l’être se révèle dans sa nudité étant aussi rares que fugitifs et la pénombre, plus que la clarté où il s’expose imprudemment, son lieu d’origine et d’élection.»
Louis-René des Forêts, Ostinato,Gallimard, p47-48
– Pour plus de clarté… pourriez-vous me faire une sorte de résumé?
– Comme un explorateur philosophe et scientifique, Lucien Joyeux, psychiatre et philosophe, à la suite d’un rapport qu’on lui a commandé, se trouve sur un archipel rocheux où rien ne pousse si ce n’est des volcans. Il est à la recherche des personnages dont il a étudié les carnets plus ou moins intimes: un âne, un chien bleu, un démon ressemblant à s’y méprendre au chien bleu, un enfant mystérieux aux habits trop grand et dont l’esprit n’est pas celui d’un enfant. Une marionnette ressemblant à s’y méprendre à Pinocchio, un vieil homme chevauchant… Tout ce petit monde semble obéir au Souriant, perdu dans cette campagne aride et dont le sourire permanent devient inquiétant pour qui lui fait face. Sourire qu’il doit au Colonel et qui n’a rien à envier aux comprachicos (Victor Hugo). Tout ce petit monde vit dans un cirque qu’ils montent à mesure que les éléments du ciel ou l’éruption des volcans le démonte. Sur cet archipel, tout s’y transforme constamment. Lucien découvre des ruines totalement inconnues. Des ruines des pierres enlacées presque érotiquement par la végétation. Des ruines qui, le jour d’avant, n’étaient pas là sur cet archipel désertique.
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