mardi 5 août 2025

Mardi

 
– C’est fou, Sang Chaud, ce que les monstres peuvent rapidement nous devenir familiers.
Comme vous le savez sans doute possible j’avais dû me résoudre à remonter dans l’arbre. Cette fois, à ma grande surprise, je n’avais eu aucune peine à trouver mon chemin et la facilité avec laquelle je passais de branches en branches me fascinait.
– J’aurais pu y passer des heures tant cela me plaisait!
Mais de fait, en bien peu de temps l’âne, sans que j’eusse à le chercher et sans que je l’aie vu s’approcher, était là devant moi, comme s’il avait été toujours là.
Don Carotte marque une petite pause qui lui parait bien longue…
– Comment pourrais-je relater ce qui, pour toujours pourrait vous paraître étranger…
– Dites-le moi sans réfléchir Don Carotte!


– Je regardais Céleste bien dans les yeux, ce qui me troubla… et une voix inconnue mais curieusement familière sortit de ma bouche… Elle disait:
Chaque nuit poursuit l’ombre d’une parole,
Qui m’atteint au matin, me glace et m’isole.
Je suis ce voyageur, guetteur sans raison,
Pris dans un cri secret qui revient à foison.

L'âne Céleste m’écoutait attentivement et je marquais une pause pour tenter de comprendre ce qui venait d’être dit… mais, de suite, la voix repris:
Je suis, dit la voix, un agent, un fantôme,
Infiltré en moi-même, double jusqu’à l’atome.
De loin cela ressemblait à l’énigme, mais de près j’étais face à un âne qui me regardait en ayant l’air de voir le lointain… et dans ce lointain je me trouvais aussi!
Céleste, visiblement, s’amusait de ma présence…
– Don Carotte, prêtez l’oreille je vous prie.
L’élan était trop puissant et je ne pouvais arrêter ce qui eut pu me submerger. Sans l’écouter, je lui parlais comme je t’aurais parlé, Sang Chaud…
Que suis-je donc? Dis, parle sans détour!
Suis-je celui qui parle, ou celui qui l’entend, toujours?
Céleste, comprenant ma confusion me ramena gentiment, avec douceur, sur la branche où nous étions perchés.
– Vous aimeriez trancher, Maître Carotte, entre deux parts contraires? Vous aimeriez savoir laquelle est le chant, l’autre la pierre? Mais pourquoi voulez-vous donc qu’un choix simple suffise… Là où le monde même ne se décompose ni ne se divise?
Curieusement, je comprenais tout ce qu’il me disait et cela me calmait… et dans ce calme je comprenais que ce n’était pas ce qu’il me disait qui importait le plus mais la façon, le rythme de sa scansion qui agissait en moi…
– L’homme parle ou se tait, il ne saurait être les deux! Or, cette voix vous trouble, elle vous chasse de vos vœux!
Sûr d’avoir tout compris, j’avais l’impression que c’était aussi simple qu’un bonjour, je continuais…
Si je suis celui qui parle, alors je suis le traître,
Si je l’entends, je suis un esclave sans maître!
Dites-le-moi! Suis-je le forgeron, ou l’écho?
Celui qui porte le masque, ou l’ombre sous le manteau?

Céleste, reprit avec plus de poids.
– Peut-être êtes-vous, Maître, ce que l’écho fabrique!
À ces mots, d’un coup je perdis mon calme et dit en me dressant, presque tremblant!
– Je suis peut-être le voyageur perdu… mais c’est le sentier qui me tord.
Sans se laisser démonter, Céleste me répondit:
– Quel sens portes-tu là?
Sans réfléchir, je remis une couche.
Quel piège as-tu tissé?
Je suis chair, je suis sang, non un chemin dissimulé!
La voix avait encore frappé! Sans plus se laisser démonter, il me répondit:
– Pourtant, vous marchez, Maître Carotte, et vous croyez décider. Mais c’est le sol lui-même qui vous fait avancer.
Au vu des circonstances, cette simple idée me fit sourire. Ce qui eut un effet fort bénéfique sur mon humeur.
Serais-je donc, Céleste, un corridor sans fin?
Un vide qui se parle, un chemin sans chemin?
– Il est temps je crois, me dit-il enfin, que je vous dévoile la dernière clé.
À ces mots je ne me sentis plus de joie, j’ouvris un large bec mais heureusement aucun mot ne sortit…
Une petite voix intérieure me disait encore de me taire…


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