dimanche 24 août 2025


Parfaitement en résonance avec les bribes de sa mémoire défaillante, Don Carotte, oubliant sa quête et les racines qui l’emmènent avec Sang Chaud vers d’autres horizons, est transporté sur cette scène qu’il a connu jadis et en qui se reflètent d’autres mémoires. L’idée lui vient de considérer l’intuition que la mémoire et la pensée ne sont pas fixes, mais en mouvement, fragiles et puissantes.
Il se tient au centre de la piste. Il se croit voyant, mais il est en même temps objet d’un autre regard. Une question surgit dans sa propre conscience ou celle qui surgit en lui, éloignée de lui, actrice du dialogue intérieur. La vision de «ce qui est vu» et «ce qu’il voit» se heurtent dans cette dualité. Ce qui crée suspension et incertitude.
Le sujet percevant et l’objet perçu ne sont jamais pleinement compatibles, ce qui cadre bien avec les sentiments de Don Carotte et ses idée de mémoire instable, de passerelles invisibles, d’un récit qu’on perçoit sans l’avoir commencé.
L’ambiguïté perceptive Don Carotte le fait constamment douter de la forme de la piste (ronde pour lui, ovale pour le spectateur). Sans le savoir, presque malgré lui, Don Carotte doute et incarne l’ambiguïté fondamentale, cette dissonance entre la sensation intérieure et la réalité extérieure.


Le spectateur immobile poursuit sa description. Il note tout, en détails.
« Le temps n’est pas une succession mais un manège, et lui, dont je ne puis savoir le vrai nom, est comme un cavalier qui monte un cheval invisible. Il tourne, tourne, sans fin, jusqu’à s’oublier lui-même. Il tâtonne dans son passé comme dans une chambre encombrée. Les souvenirs, le plus souvent imaginaires: débris, jouets cassés, masques délaissés… et soudain l’un d’eux brille, impose sa forme, devient fragment de réel. J’observe ce moment comme on observe un funambule qui, après cent balancements, trouve enfin son point d’équilibre. Mais à peine trouvé, il bascule encore. Tel est son art: l’instabilité tenue comme une corde tendue.
Car il n’est pas fou, non. Il danse au bord de cette folie comme un prestidigitateur manipule son chapeau : en tirant de l’ombre une vérité fragile. Sa mémoire n’est pas lacunaire, elle est féconde. Elle invente ses propres souvenirs, elle enfle et se rétracte comme un poumon géant, comme un monstre de caoutchouc qui se souvient d’une forme, puis d’une autre.»

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