– Dans le replis du ciel de la terre ou de la mer s’enfoncent ce qui est voué à l’oubli, Sang Chaud. Prenez garde, à tous moments, par caprices ou simples reflux ou remous, tout peut remonter et réapparaître légèrement modifié. Ce que nous appelons racines n’est rien d’autre que cela.
– Mais alors, Don Carotte, comment rompre?
Comment ouvrir le regard à autre chose qu’au reflet de ses propres croyances?
– Certainement pas en convoquant la «vérité» comme un absolu. La tâche n’est pas de «rétablir les faits », comme s’ils suffisaient à effacer les structures du croire. La tâche est de reconfigurer les régimes du visible, d’inventer des agencements sensibles qui déplacent les cadres. Un théâtre où nous deviendrions poète…
– Que notre histoire soit un vrai poème soit… mais de là à devenir poète…
– Alors, Sang Chaud, prenons pour exemple une salle de classe où le maître ne sait pas d’avance ce que l’élève ignore…
– … un journal qui publie des voix venues d’ailleurs que des cénacles autorisés…
– Tout cela participe d’un autre partage du sensible, Sang Chaud, là où l’image faisait croire à l’évidence, il faut faire sentir le montage; là où le discours imposait la légitimité, il faut faire entendre la dissonance.
– Pourtant on nous dit souvent : «montrez les choses comme elles sont»!
– Comme si les choses existaient hors de toute mise en forme. Mais ce que l’on montre est toujours déjà ce que l’on veut faire croire, consciemment ou non.
– La neutralité n’existe pas?
– Comme vous le dites si bien… Et c’est pourquoi il ne s’agit pas de fuir la croyance, mais de la déplacer. Croire, non plus dans ce que l’on voit, mais dans ce qui rend possible d’autres visions. Non plus dans l’image comme preuve, mais dans le récit comme puissance d’ouverture. Non plus dans la légitimité de ceux qui parlent au nom de tous, mais dans la capacité de chacun à faire entendre sa voix.
– Provoquer! Telle est notre mission!
– Comme si les choses existaient hors de toute mise en forme. Mais ce que l’on montre est toujours déjà ce que l’on veut faire croire, consciemment ou non.
– La neutralité n’existe pas?
– Comme vous le dites si bien… Et c’est pourquoi il ne s’agit pas de fuir la croyance, mais de la déplacer. Croire, non plus dans ce que l’on voit, mais dans ce qui rend possible d’autres visions. Non plus dans l’image comme preuve, mais dans le récit comme puissance d’ouverture. Non plus dans la légitimité de ceux qui parlent au nom de tous, mais dans la capacité de chacun à faire entendre sa voix.
– Provoquer! Telle est notre mission!
– Puisque vous le dites… permettez que je vous repose ma question que vous fuyez comme l’eau du pot fêlé!
Reste à savoir qui de nous deux aurait le pot fêlé! Répond Don Carotte qui ne supporte point la provocation… ce disant il lève bien haut son bâton qui… de cette hauteur s’abat sur la tête de Sang Chaud qui… d’un vif mouvement, que ne présage point son embonpoint, met une infime mais suffisante distance entre lui et le bâton qui…de toute la puissance de son auteur, s’abat son propre pied.
En un instant, traversant le ciel de part en part comme le faucon s’abattant sur sa proie, un cri démentiel et ses échos s’installent et se marient avec le chaos des gesticulations de Don Carotte et les tremblements incessants de Sang Chaud. Ce dernier, incapable de choisir entre rire et pleurer, profitant de l’apparition de Céleste et craignant ce qu’il croit être la folie grandissante de celui qui se dit son Maître, choisit la fuite… l’excursus…


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