III. L’image pour enfants et l’image-événement

Suite à une visite dans une galerie, j’avais acquis une image qui m’intriguait au point que je l’avais emmenée chez un ami, un psychiatre renommé avec qui j’avais commencé un échange à son sujet. Je lui avais exprimé le fait que dès l’abord j’avais cru que ce dessin n’avait pas sa place en galerie parce qu’il paraissait naïvement illustratif.

Mais mon ami Lucian l’avait longuement observée et, après avoir feuilleté assidûment quelques livres de sa merveilleuse bibliothèque, m’avait répondu:
— Tu confonds image-objet et image-événement. Ce qu’on accroche, c’est un support. Ce qu’on vit, c’est une apparition. L’image, dès lors, n’est pas quelque chose que l’on regarde, mais quelque chose qui arrive. Elle advient. Elle agit.
Et c’est pourquoi elle peut bouleverser autant si ce n’est davantage qu’une installation savante…

– Parce qu’elle advient. Elle agit…  Et c’est pourquoi elle peut aussi bien bouleverser, ou même davantage, qu’une installation savante: parce qu’elle se produit en nous, pas sur le mur.

Je commençais à comprendre… Pris dans un tourbillon de pensées, j’avais répété presque mécaniquement ses propos…

Une idée me traversa sans que je n’aies pu la voir arriver… Je vis les murs d’un musée, ou de la galerie comme un lac de mémoire, dans lequel les œuvres y émergent et y replongent, comme des formes du refoulé collectif. Voilà que d’un coup je parlais comme Lucian qui me regardait en souriant. Un sourire bienveillant qui m’encourageait à parler encore .
– Ce que nous appelons “patrimoine” est un cycle de disparitions et de retours… Je me permets de te rappeler que le mot patrimoine vient de paternité, le père…

Je lui demandais pourquoi ce rappel. À cette question il me répondit:

– Parce que tu parlais tout à l’heure de dessin pour enfants… L’enfant serait ainsi lié à son père par le patrimoine… cela fait de lui un héritier responsable… de ce qui ne fait qu’apparaître et disparaître… Ainsi nous pourrions imaginer que le personnage seul sur son rocher fait face à son patrimoine…
Chaque exposition n’est rien d’autre qu’une remontée. Et nous, critiques, visiteurs, spectateurs,
nous sommes les témoins de ces apparitions:
ceux qui guettent les remous du visible.

À suivre…