vendredi 1 janvier 2016

1 janvier (158) Ce qui serait souhaitable

Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus...

”Un Dieu prudent cache tout ce qui
est futur sous une nuit ténébreuse...”
Horace

 
– Voyez-vous , cher Auguste Perroquet, mon maître est un être étrange. Le dernier message qu'il me fit porter au votre était des plus succinct. Le voici en entier:

Cher Justin
Bonnes nouvelles. Vous ne pouviez souhaiter mieux. J'ai pris de bonnes résolutions pour l'année nouvelle: je ne vous écrirais plus. 
Portez-vous du mieux que vous le pourrez. C'est ainsi que de mon côté je ferais. La vérité n'a nul besoin de nous pour paraitre. Et si votre poursuite continue, ce dont je n'ai aucun doute, elle se fera sans mon aide désormais... cela vous ne le souhaitiez pas, j'en suis bien conscient, mais il est aussi des vœux que nous pouvons nous faire à nous même...

– J'étais, cher Auguste, un peu... emprunté... de devoir livrer un tel message...
– Je ne comprend pas bien, vous avez dû, à de multiples reprises lui dire des choses bien plus dures...
– C'est vrai, mais aucune de ces choses, que je ne faisais que transmettre, n'avait débouché sur une rupture aussi polie...
– Vous regrettez cette politesse?
– Ce n'est pas la politesse que je regrette, mais ce qu'elle recouvre. Mais oublions cela mon cher Auguste, nos maîtres ne pas pas le monde... en entier. Je voudrais vous faire part de mes vœux les plus sincères et vous dire ce qui, de mon avis que je sais dénué d'humilité, serait souhaitable.
– Je suis bien surpris de vous entendre parler de votre manque d'humilité...
– Ne vous y trompez pas. Si je le sais c'est que je n'ai pas un orgueil suffisant pour y prétendre... Il y a dans le monde des humains une quantité innombrables de messages qui circulent, ainsi j'ai pensé que je pourrais y ajouter le mien... Je le sais bien, mon cher Auguste, je ne suis qu'un perroquet qui n'a acquis cette extraordinaire faculté qu'est le fait de parler que depuis peu. Notez que j'en suis tout-à-fait reconnaissant à mon maître, croyez-moi. Mais cela dit, cette reconnaissance fait-elle de moi son esclave à tout jamais? Devrais-je répéter à l'infini ce en quoi je ne puis croire? C'est précisément le premier vœu que je vous adresse, mon ami, celui, non pas de douter de tout ce que vous êtes chargé de répéter, mais d'entendre ce qui y est véritablement contenu. Ensuite seulement...
– Ensuite seulement..?
– Eh bien, ensuite, c'est une sorte de secret...
– Je brûle de l'entendre...
– Vous allez trop vite et avez mis le doigt, si j'ose dire, sur une des particularités les plus dangereuses de ce secret. 
– Je suis tout ouïe!
– Vous saviez, bien avant de savoir parler, que le monde n'est pas composé de mots?
– Tout le monde sait cela! Il n'est point besoin d'avoir fait de longues études pour cela...
– Vous croyez?
– Oui, mais un petit doute m'est venu par le ton que vous utilisez...
– Et vous avez raison encore une fois. Le ton que nous mettons à dire les choses est un autre secret, bien plus léger que l'autre cependant... À preuve: vous venez de l'exprimer. Mais ce que je veux dire... c'est qu'avant de le savoir, vous ne saviez pas que vous ne le saviez pas...
– Cela m'apparaît comme une évidence!
– Eh bien, ce ne l'est pas du tout. Celui qui ne sait pas qu'il passe à côté de quelque chose continue son chemin sans qu'il pense qu'il ne lui manque rien... tandis que celui qui ne voit rien, mais sait qu'il passe à côté de quelque chose... celui-là sait qu'il lui manque ce "quelque chose"... qu'il ne peut connaître... puisqu'il ne la voit ni ne l'entend...
– Mais alors comment se fait-il qu'il puisse savoir qu'il passe à côté?
– En voilà une belle question... Et de plus elle est pleinement d'actualité, comme disent nos maîtres... C'est précisément l'objet de la plupart des vœux qui circulent...  et du souvenir de leur brièveté...
– Et de quoi s'agit-il, plus précisément?
– Il s'agit d'amour...
– Qu'est cela? 
– Eh bien, j'aimerai vous dire que c'est une chose simple "qui va de soi", mais, malheureusement, ce n'en n'est pas une... et de bien loin...
– Vous m'intriguez. Parlez-moi de cet "amour"... et de ce secret dont vous me parliez à l'instant et que vous semblez avoir oublié...
– Je n'en sais par moi-même pas grand-chose, il est vrai... Enfin, bien peu... Et ce petit peu entre dans le secret que je n'ai point oublié, je vous assure.
– Dites toujours!
– ...  Innocente folie au départ... ce qui entre en nous lorsque nous parlons est une sorte de jeu secret. Je dis secret parce que nous ne le savons pas toujours. Nous y sommes tellement habitué que nous n'y prenons presque jamais garde et ainsi nous finissons par l'oublier. Ainsi nous, perroquets, somme les mieux placés pour le reconnaître. Je fatigue, cher Auguste, mais si vous le voulez, je reprendrais demain...

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