mardi 25 avril 2023

Assimilation et frémissement

 Rosencrantz


– Une existence isolée et particulière est tenue de se couvrir de
toute la puissante armure de l’âme contre le malheur; à plus forte raison une vie au souffle de laquelle sont suspendues et liées tant d’autres existences. Le décès d’une Majesté n’est pas la mort d’un seul: comme l’abîme, elle attire à elle ce qui est près d’elle. C’est une roue colossale fixée sur le sommet de la plus haute montagne, et dont dix mille menus morceaux, adaptés et joints, forment les rayons gigantesques: quand elle tombe, tous ces petits fragments sont, par une conséquence minime, entraînés dans sa ruine bruyante. Un roi ne rend jamais le dernier soupir que dans le gémissement de tout un peuple.

Le Roi

– Équipez­-vous, je vous prie, pour ce pressant voyage; car nous voulons enchaîner cet épouvantail qui va maintenant d’un pas trop libre. 

Hamlet, William Shakespeare


En pleine réorganisation, un petit groupe s’était donné pour tâche de jeter un regard critique leurs propres actions. Sans modération, faisant fi de toute autorité, ses membres se livrent à une critique de la politique d'éducation qu’ils perçoivent comme une politique d’assimilation:

– Nous ne voulons plus être de simples marionnettes. Ce que nous désirons le plus est la liberté. Cette même liberté que jusqu'ici nous chantions par mimétisme en sacrifiant ce que nous étions au profit de nos maîtres.

Mais au sein du groupe, la lutte faisait rage et le débat était des plus ardents... L'unanimité ne régnait pas, et de très loin et, pour certains, le questionnement auquel ils accolaient l’idée de ressassement n'eut  pas dû dépasser une certaine limite.

– Nous ne voudrions pas brandir l'épouvantail du chaos comme jusqu'ici nous l'avons défendu mais, une question en entraînant une autre, l'ordre du monde, notre monde, pourrait, encore une fois, se trouver menacé... Tenons nous en à ce que l'on nous a enseigné!

– Pour nous retrouver à cette même place que nous venons à peine de quitter... 

La nature est impitoyable, chacun le sait, et c'est ainsi que, lentement, le chemin qui eut dû être nouveau, à force d'habitude, s'est mis à ressembler étrangement à celui, bien connu, qui mène aux origines... puis, par pure répétition, à la pyramide des pouvoirs. La science des uns ne vaut pas pas la force des autres et le miroir sépare des mondes qui ne s'entendent pas. Ils ont beau avoir la même image ils ne racontent pas la même histoire... Si chacun, pour un temps, avait pris ses responsabilités, il ne fallut guère longtemps pour qu'en chacun renaisse à nouveau l’idée d’une douceur de vivre sans responsabilité. Sans avoir à réfléchir, en obéissant, la quiétude du savoir enseigné et la nostalgie des chefs, avec leur bienveillance, se fit sentir. Ceux-ci n'en demandaient point tant. Ils allaient bientôt pouvoir parader comme des sauveurs... et pour le coup devenir vraiment à l'image de leurs maîtres qu'ils n'avaient nullement cessé de voir... en secret.


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