lundi 17 avril 2023

Ancestrale et rigide

 


Huit-cents-septième rapport de Don Carotte
Extrait du petit Livre Rose bordé doré sur tranche 



Sous l'effet des gigotements incessants, aux inégales variations, aux piqures et démangeaisons dus aux moustiques, puces et autres peuplades, cavaliers malins dont j'étais le porteur suprême ou sans doute tout autant sous l'effet euphorisant d'une sorte de rêve et, peut-être, quelque peu en conséquence du récit que je parvenais, lambeaux par lambeaux, non sans peine, à réunir mentalement les cordes qui m'attachaient. C’est ainsi qu’aussitôt, en silence, elles se déliaient... Sans un mot, les deux bras qui eux aussi, en me soutenant, m'entravaient, me lâchèrent et, m'a-t'il semblé... ou, me l'a-t'on raconté par la suite, m'enlevèrent le bandeau que je croyais avoir sur les yeux. Automatiquement, du dedans, mes deux bras s’étaient ouverts comme pour accueillir un hypothétique équilibre, mes jambes, sans que ma volonté ne n'y soit pour quelque chose, se sont légèrement pliées et mon regard comme un phare dans la nuit se mit à chercher au loin un point d’appui. Du dehors, sans que je puisse le savoir, il n'en était rien. Sur mon visage un sourire, de lui-même, de circonstance peut-être... s'était installé. Combien était-il trompeur... cela aussi, je ne le saurai sans doute jamais... En lui se reflétaient dans une sorte d'éloignement ordonné nombre de fantômes qui eux aussi souriaient obéissant à la très rigide, ancestrale et contraignante règle du savoir bien-vivre. Un large bandeau rouge à nouveau me recouvrait les yeux.
Dans un autre début, il y a bien longtemps, pour autant qu'il m'en souvienne, parfois il me semble tout confondre, les temps, les actions comme les lieux, j'étais affublé d’une ridicule perruque blanche et poudrée, de celles qui vous font juge avant que peu à peu elle ne tombe en même temps que mes cheveux et mes dents. Ma chair aussi me quittait. Je vis alors nettement presque tous mes os, y compris ceux dont j'ignorais alors jusqu'à l'existence. J'avais été un oiseau et je ne le savais point. Je vis alors, me surplombant, une montagne qu’autrefois je survolais…

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