mercredi 28 mai 2025

 
« Il y a dans l’écriture quelque chose qui se dérobe à celui qui écrit.
Celui qui écrit n’est pas là. Celui qui écrit est déjà mort.
Ce qu’il écrit, c’est ce qui lui échappe. C’est ce qu’il ne sait pas.
L’écrivain est ce qui reste quand le sujet s’est effacé.»

Pascal Quignard, Les Ombres errantes

 

 
 
–Serions-nous devenus comme des écrivains?

– Mais alors pas de ceux qui racontent.
 Plutôt de ceux que le langage dévore.
 De ceux pour qui parler n’est plus un acte de communication,
mais un lent glissement hors de soi.
– Comme un oiseau qui cesse d’imiter pour devenir une voix.
 Pas la sienne, pas celle d’un autre,
 mais cette voix qui ne dit rien, qui trace seulement,
comme la main d’un scribe oublieux de son nom.
– Oui…
Nous avons voulu fuir notre maître,
mais nous avons emporté avec nous le feu de sa voix.
 Et maintenant, ce feu nous consume.
 Il écrit en nous.
– Ce n’est plus lui qui parle.
 C’est ce qui reste de lui en nous,
transfiguré, abstrait, délesté de sa chair. 
Nous sommes devenus le lieu où une parole sans sujet cherche un corps.
– Alors peut-être… nous ne sommes plus des oiseaux.
 Nous sommes des phrases.
 Des figures en quête de silence.
– Et comme Pinocchio l’Autre, 
nous quittons le vivant pour habiter une autre vie:
 celle des mots, des gestes écrits dans le vent,
 celle où plus personne ne nous regarde, mais où, pour la première fois, nous devenons visibles.
– Et si, à force de le contempler, de parler de lui comme on parle d’un mythe à demi oublié…
nous étions, nous aussi, devenus des Pinocchios en chair, plumes et os? 
Ni tout à fait bêtes, ni pleinement hommes,
 mais ces entre-deux incertains qui errent dans les marges du langage.



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