– Sommes-nous, oui ou non, maîtres de nos destins,
Ou de simples pantins aux discours sibyllins ?– Je crois sincèrement qu’il serait plus sensé
De dire que ce monde, au fond, nous a pensés.
Car si l’on gratte un peu l’étoffe de la scène,
On trouve moins de vrai que d’ombre malsaine.
– Mais dites-moi, en ces lieux si profonds,
Y trouve-t-on un peu de vrai, quelque émotion?
Un morceau de réel, une once de nature,
Quelque chose, enfin, qui survive sans ratures?
– Il serait temps que nous trouvions une explication à la présence de Lucien Joyeux, ce psy qui a débarqué on ne peut savoir comment ni pourquoi... Auriez-vous quelque explication?
– Pour le peu que je puisse savoir, il me semble que, toutes choses étant liées par d'invisibles liens, il faudrait que nous découvrions au moins l'un d'entre eux... et pour ce faire je crois que le mieux serait que nous partions de l'un de ses rapports...
– Mais comment faire cela? Ils ne sont point entre nos mains, encore que, de mains, nous n'en avons guère...
– L'enfant Lune en a...
– Encore faudrait-il qu'il se prête au jeu!
– C'est précisément de cela qu'il s'agit. Faisons en sorte qu'il entre dans le jeu.
– Pourquoi cela?
– L’Enfant Lune le sait.
– Ce que fait Lucien?
– C’est cela.
– Comment pourrait il le savoir?
– Non par le savoir qui possède, mais par celui qui devine, qui tremble au bord de lui-même. Il sait dans le silence même de son corps trop grand ou trop petit – que la plus grande part du monde se passe hors de toute atteinte. Et que cette part, la plus réelle peut-être, n’a d’accès que par l’imagination. Regardez-le, là, face à l’océan, il ne regarde pas un paysage: il regarde ce qui se dérobe au regard. Il contemple une énigme nue, sans réponse. Il ne voit pas le monde: il le sent se produire — au loin, au fond, dedans. Le monde ne vient pas vers lui. Il émerge, à travers lui, comme une possibilité fragile.
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