“Les hommes qui, les premiers, tracèrent un chemin permettant de relier deux lieux accomplirent là l'une des plus grandes réalisations humaines. Circuler à maintes reprises d'un lieu à l'autre et, ce faisant, les relier pour ainsi dire subjectivement, ne pouvait suffire: il leur fallut graver le chemin, de façon bien visible, à la surface de la terre, afin que les lieux concernés le fussent objectivement, la volonté de mise en relation devenant dès lors mise en forme des choses lui étant à chaque reprise offertes - sans que cette volonté de mise en relation reste dépendante de la fréquence ou de la rareté des trajets recommencés. Le traçage des chemins est pour ainsi dire une réalisation spécifiquement humaine; l'animal surmonte lui aussi continuellement les distances, et souvent de la façon la plus habile et la plus complexe, mais le début et la fin de son parcours demeurent non relies l'un à l'autre; c'est que l'animal n'opère pas le miracle du chemin: faire que le mouvement coagule jusqu'à devenir structure solide.
C'est avec la construction du pont qu'est atteint un apogée. Ici semblent s'opposer à la volonté humaine de mise en relation non seulement la résistance passive de l'espace extérieur mais aussi l'active résistance d'une configuration bien particulière. En surmontant cet obstacle, le pont vient symboliser l'extension à travers l'espace de la sphère propre à notre volonté. Pour nous, et seulement pour nous, les rives du fleuve ne se montrent pas simplement étrangères l'une à l'autre : elles sont « séparées»; la notion de séparation serait ainsi dépourvue de toute signification si nous ne les avions pas tout d'abord reliées l'une à l'autre, dans nos réflexions visant une fin, dans nos besoins, notre imagination. Mais, dès lors, la forme naturelle vient ici à la rencontre de cette notion, comme si elle était mue par une intention positive, la séparation semblant ici se produire entre les éléments envisagés en eux-mêmes et pour eux-mêmes, de sorte que l'esprit conciliant, unifiant, la dépasse maintenant.
Le pont, dès lors, devient une valeur esthétique, non seulement par sa manière, dans la réalité, de relier ce qui est séparé et de permettre la réalisation de fins pratiques, mais aussi par sa manière de rendre immédiatement parlante une telle mise en relation.”
C'est avec la construction du pont qu'est atteint un apogée. Ici semblent s'opposer à la volonté humaine de mise en relation non seulement la résistance passive de l'espace extérieur mais aussi l'active résistance d'une configuration bien particulière. En surmontant cet obstacle, le pont vient symboliser l'extension à travers l'espace de la sphère propre à notre volonté. Pour nous, et seulement pour nous, les rives du fleuve ne se montrent pas simplement étrangères l'une à l'autre : elles sont « séparées»; la notion de séparation serait ainsi dépourvue de toute signification si nous ne les avions pas tout d'abord reliées l'une à l'autre, dans nos réflexions visant une fin, dans nos besoins, notre imagination. Mais, dès lors, la forme naturelle vient ici à la rencontre de cette notion, comme si elle était mue par une intention positive, la séparation semblant ici se produire entre les éléments envisagés en eux-mêmes et pour eux-mêmes, de sorte que l'esprit conciliant, unifiant, la dépasse maintenant.
Le pont, dès lors, devient une valeur esthétique, non seulement par sa manière, dans la réalité, de relier ce qui est séparé et de permettre la réalisation de fins pratiques, mais aussi par sa manière de rendre immédiatement parlante une telle mise en relation.”
Georges Simmel, L’étranger, Payot, p.75-76
– Que dites-vous? Ce lieu… serait une chimère?
Une île au-delà du pont, de vous à moi, sur une scène sans théâtre?
Une île au-delà du pont, de vous à moi, sur une scène sans théâtre?
– ... cela eut pu se produire plus de mille fois en un seul instant, juste le temps de le dire...
en réalité, cela s'est produit plus d'une fois...
et se produit encore...
– Vous arrive-t’il de vous en sortir?
– Quand je m’en sors c’est là que je me perd…
– Une partie de nous-mêmes nous est inconnue…
– Et nous ne cessons d’y retourner…
– me feriez-vous la faveur de vous éloigner?
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