jeudi 20 avril 2006

Le défricheur


Guetteur de rêves, en effet, car philosophe cynique en un sens, il importe à Walter Benjamin de démasquer «la fausse monnaie» des rêves du XIX siècle et dans cette tâche il se décrit lui-même comme philosophe à la hache. Dans les "Premières Notes", il définit ainsi son projet : «Défricher des domaines où seule la folie, jusqu'ici, a crû en abondance. Avancer avec la hache aiguisée de la raison et sans regarder ni à droite ni à gauche, pour ne pas succomber à l'horreur qui, du fond de la forêt vierge, cherche à nous séduire. Chaque terre a dû un jour être défrichée par la raison, être débarrassée des broussailles du délire et du mythe. C'est ce qu'il faut faire ici pour la terre en friche du XIX siècle». Le lecteur de W. Benjamin ne peut manquer de percevoir sans cesse -certes dosée de façons différentes selon les moments - une tension irréductible entre la fascination quasi mortifère qu'exercent les rêves de la mythologie moderne et la volonté de sortir du rêve, de s'arracher à ce côté nocturne du XIX siècle en interprétant le rêve, c'est-à-dire en construisant l'image dialectique.

Miguel Abensour
L'utopie de Thomas More à Walter Benjamin
Editions Sens & Tonka

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