mardi 22 novembre 2016

Premier monologue de Platon, chien

– Écoute encore... une couche plus profonde...
Homme! toutes choses visibles
ne sont que des masques de carton-pâte.
Mais dans chaque événement...
dans l'acte vivant, le fait indubitable...
quelque chose d'inconnu
mais doué de raison porte,
sous le masque dépourvu de raison,
la forme d'un visage.*


Un sentiment d’étrangeté saisit souvent ceux qui passent d’une histoire à l’autre dans notre vie de tous les jours. On a l’impression de ne plus reconnaître l’une quand on passe à l’autre. Plus que cela, une sorte d'amnésie s'empare de nous et nous voilà comme un enfant, presque tout neuf, face au désir de connaître... Chacun sait que ce n'est pas simple et que bien vite des bribes de mémoires font assaut d'énergie pour revenir s'installer dans ce qui nous apparaissait comme nouveau. Ainsi, le petit chien Platon, qui jusque-là tel un fantôme ne vivant que d'aumônes, accepte de remplir les plus infimes fonctions avec un effacement proche de l'anéantissement, fidèle à son maître, en vient à oublier, pour un temps, l'étrange situation dans laquelle il se trouve... Il s'y est trouvé sans qu'il ait eu besoin de la chercher... Cela devrait donner à réfléchir... ce que jusque là sa nature lui interdisait. Le fait est qu'il constate que sa communication avec Socrate fonctionne bien et que sa "nature de chien" le comprend parfaitement... Si bien que Socrate, pour Platon, est un chien, comme lui. Ce ne devrait pas lui poser de problème... et pourtant... Platon sent bien que quelque chose de nouveau est "à l’œuvre". Ils se comprennent trop bien. C'est quelque chose qu'il n'arrive pas à comprendre. Il ne sait pas encore qu'il était passé d'un langage à un autre, de celui du chien à celui de l'homme et cela sans que lui ni Socrate, par ailleurs, ne se doutent de rien. Il hésite à définir sa situation: était-ce une sorte de nouvelle vision du monde ou l'inverse? L'inverse? Ce serait le monde qui le regarderait de manière différente... Cela aussi est nouveau et cela commence à faire beaucoup pour un petit chien. Mais cela fait aussi beaucoup pour Socrate...


*Moby Dick, Melville (Chapitre 36) 

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