dimanche 22 août 2021

À mi-chemin

 

À mi-chemin


" C'est à cette chair que les Toscans s'arrêtent et non pas à son destin. Il n'y a pas de peintures prophétiques. Et ce n'est pas dans les musées qu’il faut chercher des raisons d’espérer.
L'immortalité de l'âme, il est vrai, préoccupe beaucoup de bons esprits. Mais c’est qu’ils refusent, avant d'en avoir épuisé la sève, la seule vérité qui leur soit donnée et qui est le corps. Car le corps ne leur pose pas de problèmes ou, du moins, ils connaissent l'unique solution qu’il propose : c'est une vérité qui doit pourrir et qui revêt par là une amertume et une noblesse qu’ils n’osent pas regarder en face. Les bons esprits lui préfèrent la poésie, car elle est affaire d'âme. On sent bien que je joue sur les mots. Mais on comprend aussi que par vérité je veux seulement consacrer une poésie plus haute: la flamme noire que de Cimabué à Francesca les peintres italiens ont élevée parmi les paysages toscans comme la protestation lucide de l'homme jeté sur une terre dont la splendeur et la lumière lui parlent sans relâche d'un Dieu qui n'existe pas.
À force d'indifférence et d’insensibilité, il arrive qu’un visage rejoigne la grandeur minérale d’un paysage. Comme certains paysans d’Espagne arrivent à ressembler aux oliviers de leurs terres, ainsi les visages de Giotto, dépouillés des ombres dérisoires où l'âme se manifeste, finissent par rejoindre la Toscane elle-même dans la seule leçon dont elle est prodigue : un exercice de la passion au détriment de l’émotion, un mélange d'ascèse et de jouissances, une résonance commune à la terre et à l’homme, par quoi l'homme comme la terre, se définit à mi-chemin entre la misère et l’amour. Il n'y a pas tellement de vérités dont le cœur soit assuré. Et je savais bien l'évidence de celle-ci, certain soir où l’ombre commençait à noyer les vignes et les oliviers de la campagne de Florence d'une grande tristesse muette. Mais la tristesse dans ce pays n'est jamais qu’un commentaire de la beauté. Et dans le train qui filait à travers le soir, je sentais quelque chose se dénouer en moi. Puis-je douter aujourd’hui qu’avec le visage de la tristesse, cela s'appelait cependant du bonheur?"


Camus, Noces 



L’enfant Lune sent se dénouer en lui quelque chose qu’il ne reconnaît point mais qu’il se sent le courage d’affronter. Pinocchio, lui aussi, mais à sa manière... et surtout à sa mesure, est un être audacieux. Insolent? Aussi... mais dans les mêmes proportions que les montagnes qu'il tente de gravir et qui ne sont, au mieux, il le sait, que des tas de gravats en lesquels peuvent se dire ou se lire, pour qui sait le faire, les sommets auxquels ils appartinrent autrefois.



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