dimanche 30 juin 2024

Intempestif

 

« La limite n'est pas en dehors du langage, elle en est le dehors...»

Deleuze


 
– Dans l'air du temps peu importe le contre-sens ou le contre-temps... De toute façon nous ne choisissons guère l'endroit où l'on nous donne vie...
– Mais que faites-vous de la part de nos désirs?
– Vous devriez parler des désirs que l'on nous prête...
– Je vous trouve bien négatif!


 

– Négatif... non... Comment ne pas savoir que le vent de notre auteur nous pousse pendant un certain temps dans une certaine direction pour brusquement la faire changer...  intempestif... oui... je le crains... comment pourrait-il en être autrement... en d'autres termes comment pourrions nous dérober et voler au-dessus de ses lois?

 


 
Dans ses chroniques, perpétuellement Auguste essaie de se souvenir… En vain la plupart du temps... Et c'est ainsi que le récit s'allonge de toutes les vicissitudes d'un esprit qui semble s'égarer.
 
Une âme éclairée eut sans doute pu déceler dans la foule ce qui, plus tard sera cause de profonds dérèglements. Mais en ce jour, sans aucun doute, tout le monde n'y verra que du feu...
On se souvient qu'Auguste est entré sous le chapiteau de bien étrange manière, certes, mais certainement pas en oubliant sa lanterne.
Lanterne, qui, naturellement, spectacle oblige, commencera par tomber...

 
 

samedi 29 juin 2024

Semblable

 «Le semblable qui avait été longtemps catégorie fondamentale du savoir — à la fois forme et contenu de la connaissance — se trouve dissocié dans une analyse faite en termes d'identité et de différence; de plus, et soit indirectement par l'intermédiaire de la mesure, soit directement et comme de plain-pied, la comparaison est rapportée à l'ordre; enfin la comparaison n'a plus pour rôle de révéler l'ordonnance du monde; elle se fait selon l'ordre de la pensée et en allant naturellement du simple au complexe.»

Michel Foucault, Les mots et les choses, tel gallimard, p. 68

 

– En un clin d’œil beaucoup de choses changent…


 – Je dirais plutôt «en un battement d’aile…»

 

 
Dans ses chroniques, Auguste essaie de se souvenir…

Comme une ombre une légère fumée monte des premières lettres qui apparaissent sur la page blanche. À peine ai-je écrit quelques mots que subitement tout change… c’est simple et complexe… et bon signe… Dans le fonds, nous devrions croire que nous n’y pouvons rien. Le reflet du semblable dans le miroir n’est pas ce qu’il reflète… et dans ma tête, venue de je ne sais où, sourd une question lancinante… presque brûlante… 
– Vous souvenez-vous de cette journée de feu? Celle qui, sans aucune mesure, dans l'ombre nous suit pas-à-pas qui nous a fait grandir en nous rendant si petits.
– Tout n’était que jeu, alors.

 

vendredi 28 juin 2024

Royaume

 

«Avec l’autorité des enfants
qui ne doutent d’être maîtres en leurs royaumes,
ils brisent les sceaux et disparaissent aux frontières de la raison.»

Walid Neill, “Le Passant, le Savant, l’Imbécile et la vie”

 


 – Je vous sais gré de bien vouloir nous rapporter ce que vous a dit notre maître. Cependant j’espère qu’un jour prochain nous aurons droit au fin mot de l’histoire. Je vous avoue que je suis un peu perdu…
– Je vous prie de bien vouloir garder en mémoire, sur mon honneur et ma conscience, que je ne puis vous dire que ce que je sais et, le voudrais-je, je ne pourrais rien inventer. Il nous est donc nécessaire de faire preuve de patience… Je vous prie de tout cœur de bien vouloir m’excuser mais ce n’est point moi qui dicte le tempo…
–  Sauriez-vous me dire pourquoi?
– Le royaume de notre Maître n’est point le nôtre. C’est en serviteur que nous y participons… et nul ne devrait ignorer que c’est dans les marges qu’émerge, insolent, simple et quelque fois grotesque, le nouveau…


Extrait des chroniques d’Auguste

Ce qui, de tout temps, parvient à être mémorisé, guette inlassablement l’inéluctable moment de sa disparition…Il se peut que Justin,  malgré la distance qui nous sépare et sans qu’aucun mot ne soit prononcé, en soit conscient… Je le vois sans que je ne sache si lui aussi me voit…



jeudi 27 juin 2024


«Pourquoi donc nous comportons comme nous le faisons? Toute question posée exige une réponse, même si c'est à très long terme. C'est tout particulièrement le cas pour les questions philosophiques qui jaillissent directement de l'expérience, et touchent ainsi à des réalités fondamentales alors même que celles-ci, faute chez nous de connaissances et d'un langage adéquat, échappent encore à toute formulation précise. Tout le travail de la culture est alors voué à tirer ces réalités de l'obscurité, à les revêtir d'images qui leur prêtent une certaine consistance, à les articuler au moyen de concepts, à donner une peau de lumière à ce qui, jusqu'alors, était demeuré invisible. C'est ce que paraît évoquer la formule de l'épître aux Romains: « Toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement.»
Ce n'est guère qu'aujourd'hui que nous commençons à entrevoir la possibilité de répondre à cette question touchant au pourquoi de nos comportements, au moment où des disciplines relativement nouvelles apportent les premiers éléments d'une réponse à la question fondatrice, mais sans jamais épuiser, pour autant, la quête sans fin que la question même a mise en route.
Revenons donc à nos premiers hommes confrontés à cette première question qui exige une réponse. Quant à la question, nous pourrions encore la reformuler en d'autres termes qui la rendraient plus précise: « Quel est le sens de notre rituel? Quel but vise-t-il?»

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.40
 


– Vous m’avez dit de ne pas croire à tout ce que l’on nous dit et, tout bien pensé , il se peut que ce soit juste le contraire...
– Précisément...
– Ce précisément étant d'une grande ambiguïté... je ne puis croire que ce que vous me dites est vrai.
– C’est bien ce que je vous dis.
– Le public, un monde qu'Auguste ne connait point, ce public, lui, ne voit pas pas la moitié de ce que Auguste tente vainement de montrer et qui, déjà, est, pour lui-même, parfaitement lacunaire...
 
 

Auguste, chaque jour parcourt le chemin secret connu de lui seul, C’est ainsi qu’il connaît les hauteurs du chapiteau
 presque "comme sa poche".
Toutefois, les unes comme les autres,
certaines surprises sont possibles.
Parmi elles, il y en a des répétitives,
d’autres inconséquentes...


Mille fois déjà que se répète dans ma tête ce qui à chaque fois me paraît être la première... Rêveries absurdes jusqu’à la folie se désagrègent. Lentement, consciencieusement, il est des dialogues qui refusent l'autre tout en lui procurant une présence.


 

mercredi 26 juin 2024

Qui de l’un…

« Mais comment le geste nous aiderait-il donc a concevoir une réalité qui au départ est inconcevable du fait de sa nature abstraite?
À titre d'exemple, considérons la mort. Un membre de la tribu vient de mourir. La mort en général ne correspond à aucun objet, à aucun geste. C'est une réalité abstraite, impossible à saisir. Le cadavre, lui, est concret. Il se désigne sans mal - du doigt, ou du nom du défunt. Mais comment parler, en ces premiers temps, de la mort en général? Ce ne peut être qu'en trouvant d'abord des mots pour désigner les gestes que l'on exécute rituellement au moment de disposer du corps et en élaborant par la suite un récit qui s'appuierait sur ces gestes et se rapporterait tant aux émotions qu'éprouvent les vivants qu'aux expériences que ce corps est censé connaître dans l'espace qui est désormais le sien.»

Michael, Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.88



Auguste, pour un temps, était heureux. Il a une nouvelle relation. Un monde nouveau s’ouvrait à lui qu’il n’avait jamais soupçonné. Très vite, sans l’ombre d’un doute, au delà du réel, une agréable complicité réjouit les deux comparses… à tel point qu’il serait difficile de savoir qui de l’un ou de l’autre le représente. Bien avant que les mots se mettent à raisonner, dans l’irréel espace entièrement leur, les gestes se font et se défont sans la moindre gêne et, pour l’instant, sans que le moindre mot ne tente de les distraire.
Auguste, se frayant un chemin dans les nuages sous les doctes étoiles, sans s’étonner de ce nouveau savoir et sans avoir à réfléchir, meurt à lui-même, si l’on peut dire ainsi…

mardi 25 juin 2024

Étoiles saltimbanques

 
« Partout, toujours, la même constellation se reproduit, du soleil inquiétant et de l'ombre bénéfique.
Peut-être cette ombre racinienne est-elle plus une substance qu'une couleur; c'est sa nature unie et pourrait-on dire étalée qui fait de l'ombre un bonheur. L'ombre est nappe, en sorte qu'à la limite il est possible de concevoir une lumière heureuse, à condition qu'elle possède cette même égalité de substance: c'est le jour (et non le soleil, meurtrier parce qu'il est éclat, événement et non milieu).»

Roland Barthes, Sur Racine, Essais Points, page 31

Pendant ce temps, la marche du monde n’a pas cessée et Auguste, comme tant d'autres, s'est à remplir des carnets


– En pleine nuit, quand la brume se dissout dans l'obscurité, nous avions la sensation que le sol sur lequel nous cheminions changeait de nature. Face aux étoiles saltimbanques, les cailloux fêlés sur lesquels nous étions assis, semblaient se reconnaître dans le miroir obscur de la nuit et revivre une histoire à laquelle nous n'avions pas accès. C'était comme si nous avions entre nos mains une petite part d'une histoire qui a commencé il y a des millions d'années... C'est pourquoi, où que nous allions, nous les emportions avec nous.

lundi 24 juin 2024

La fuite du temps

 

 


 

– Ce qui est là autour de nous, de fait n'y est point...
– Pourquoi me dites-vous cela?
– Cela, en un temps qui n'était point le sien, fut déjà dit, mais pour mémoire nous ne sommes guère que des  images...
– Mais des images parlantes...
– De fait, nous ne parlons pas vraiment... Hormis le fait que ce que nous disons, nous ne le choisissons pas vraiment...
– Tout juste reste-t’il que nous avons une certaine influence sur notre maître...
– Certes mais vous oubliez que c'est principalement celui qui lit... qui parle... mais reprenons l'histoire d'Auguste avant qu'il ne devienne ce que nous connaissons déjà!
– Être de tous les combats... léger soubresaut, fantasme bon teint, l'enfant vieilli, au dernier niveau, se souvient. Le cabaret destructeur souffle, scène après scènes, pour lui plus que pour tout autre, la fabuleuse histoire de la fuite du temps. Cet ancien temps qui serait ce doux mélange de sommets, de ponts et de ravins qui se marient et charrient au loin ce qui fut à portée de main. Découper une étoile un millions de fois et plus... pour enfin discerner ce qui dans la lumière nous éblouit. Pour la première fois une sorte d'inventaire est disponible.

dimanche 23 juin 2024

Artifices

 

« Le mystique rechercherait et désignerait ainsi (sous une forme plus concentrée, pourrait-on dire) ce but toujours indéterminé qui se fait connaître à la plupart d'entre nous surtout par l'intermédiaire du sentiment d'insatisfaction et de manque qui motive toute véritable initiative créatrice humaine. Le langage mystique attribue un caractère substantiel à ce qui serait (dans la perspective présente) un état particulier de la personne et une relation fantasmatique singulièrement riche. Des schémas de pensée profondément ancrés font que l'on y reconnaîtra tantôt le signe d'une expérience directe du surnaturel, tantôt au contraire une manifestation morbide présentant un caractère hystérique.
Il semblerait pourtant plus intéressant d'étudier avec le plus grand sérieux tout cet ensemble de caractéristiques qui se manifestent avec constance aussi bien chez les hindous que chez les soufis ou les mystiques chrétiens, en y reconnaissant une expérience vécue difficilement réductible à une simple illusion ou pathologie.
On peut supposer, en effet, que les mystiques poursuivent une expérience systématique d'un état du psychisme qui ne saurait se manifester sous une telle forme que dans la mesure où certains enseignements (relativement variables d'ailleurs) la justifient et lui prêtent vraisemblance. Ce sont ces croyances et doctrines qui permettent au mystique de structurer et de projeter son expérience.
Mais il ne pourrait assurément pas faire de telles expériences (pas plus que d'autres ne pourraient être hypnotisés), s'il n'existait pas, à la base, une disposition commune du psychisme dont les fondements seraient à rechercher dans les relations prélangagières de l'attachement.»

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.105-6




– On dirait bien que, malgré ce sourire qu’il arbore en toutes circonstances, Auguste soit un éternel insatisfait…
– Saviez-vous qu’autrefois il avait été garçon de piste bien avant d'endosser le costume qu'il porte aujourd'hui… et surtout avant que…
– Je ne suis point certain… vous savez… c’était un enfant qui ne parlait point… Vraisemblablement ce mutisme n’était point dû à une déficience quelconque…


La mémoire d’Auguste lui joue des tours…

– Pour nous, garçons de piste, le travail théâtral, malgré ses artifices, doit permettre aux formes naturelles de la vie, qui sont toujours cachées, de monter à la surface. Nous utilisons pour cela quelques artifices...

samedi 22 juin 2024

L’ombre des mots

 

« Ce n’est pas tant le monde que nous percevons mais un des aspects du monde.»

Eibl-Eibesfeldt





– Dans ce que je perçois il n’y a aucune trace de rêve… mais de mon propre mouvement il n’y trace non plus…
– Vous rendez-vous compte que tout cela n’est « que des mots».
– Qu’entendez-vous par là?
– J’entends que tout ce que nous voyons, ou croyons voir, n’est que “l’ombre des mots”(Bruno Schultz). Ce sont les mots qui introduisent les images…


Libéré de Justin, chaque jour  le monde d’Auguste se crée...
– Incessamment tout commence, puis, à peine fini… tout recommence...




vendredi 21 juin 2024

Au plus haut

 


« A partir du moment où j'ai commencé à ouvrir les yeux sur le monde autour de moi, j'ai trouvé tout ce que je voyais fascinant.
Je suis rentré dans la vie – et suis resté longtemps – avec cette fascination du voyageur, de l'aventurier: tout ce qui passait par les yeux était pour moi la nourriture de la vie. Mais si vous regardez la vie de cette manière, vous êtes dans une forme de solitude.»
 
 Peter Brook 



– Aux premiers âges de son nouveau monde, Auguste, dès le moment où l'absence de Justin le libère, se sent des ailes... Au plus haut il aimerait se hisser…


Auguste se souvient. Ce n'est pas la première fois, mais cette fois-ci ses souvenirs ne sont pas conformes  aux précédentes. Quelque chose de fascinant et pourtant cloche tout en attisant une curiosité qu'il ne se connaissait pas.
Dans sa tête, il se revoit essayant d'escalader une colonne à priori impossible à gravir… sans savoir dans quel monde cela a eu lieu…




jeudi 20 juin 2024

Au sens large

 « Le "sens" dont nous parlons ici n'a donc rien à voir avec le sens d'une phrase ou d'un discours. Il faut entendre le mot comme nous le faisons lorsque nous disons d'une action qu'elle «n'a pas de sens» — et dans ce cas il y a comme une idée sous-jacente de direction: «Dans quel sens allons-nous?» Cette même nuance est également apparente dans l'usage anglais et dans l'allemand où les mots d'ailleurs apparentés de meaning et de meinen ont aussi une connotation d'intention: I've been meaning to call you - «Je comptais t'appeler». Un geste (ou une chose) ne peut avoir de sens, en effet, que dans la mesure où il y a, dans ce geste (ou cette chose), tendance vers un but qu'il est censé servir et qui constitue un nœud relationnel de la communauté. Le "sens-de-ma-vie", à laquelle chacun se réfère ne fût-ce qu'implicitement par moments, vit dans cette orientation, se manifeste dans ce lien sensible entre une vie particulière et "quelque chose" qui la déborde dans le temps - quelque chose dont la recherche ou le service est indispensable à l'intéressé. A défaut de cette orientation dont la portée dépasse une seule vie et une seule personne, le sens, à l'approche de la mort, éclaterait comme le font les ballons à la fin d'une fête enfantine - ou les poissons des grandes profondeurs (à ce qu'on dit), lorsqu'on les remonte à la surface. Le sens, dans tous les cas, prend forme autour d'un but qui, à nos yeux du moins, mérite d'être recherché et servi.»

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.81


– Dites-moi… avant nous, qu’y avait-il?
– Quand vous dites nous, parlez-vous de nous autres perroquets… en général… de nous deux en particulier ou de tous ceux qui partagent ce récit qui n’en est point un… enfin pas tout-à-fait…
– Je ne parlais point de nous simplement… je parlais de notre monde!
– Eh bien, cela n’a peut-être pas de sens, mais parmi les sachants, on dit qu’avant notre monde, au sens le plus large… il n’y avait rien. De plus, j’insiste sur ce point, et je vous rappelle que tout ce que nous connaissons de ce monde n’est pas une conséquence de notre savoir ou de notre apprentissage…
– Puisque nous en sommes aux rappels, je fais appel à votre mémoire, n’est-ce point vous qui m’expliquiez la différence, même minime, disiez vous, qui prend naissance dans l’imperfection de notre imitation! Ainsi donc la voix de notre maître et ce qu’elle signifie s’en trouve légèrement changée…


– Pourquoi, cher Justin, faut-il que, comme de coutume, partout où je vais vous y soyez aussi?
– Malheureusement je suis parfaitement d’accord avec vous… cher Auguste, je ressens exactement la même chose…
– C’est curieux… il me semble que, à la manière d’un perroquet, vous répétez, sans le savoir ce qui me vient à l’esprit…


mercredi 19 juin 2024

Clairvoyance

 

 


– Auguste est plongé dans des souvenirs dont il ne sait s'ils sont présent ou passé. Les questions, honnêtes pour la plupart, fusent sans qu’il ne saisisse d’où elles viennent.

 


– Vous souvenez-vous, Justin, vous permettez que je vous appelle Justin... vous souvenez-vous de jour passé où, placé sur une chaise au vu de tous, moi-même ne voyant rien, je regardais devant moi défiler des images dont je ne savais presque rien? Eh bien...
 
... « Je donnerais beaucoup, mon cher, pour que vous me jugiez, dans cette affaire, avec les sentiments que vous auriez pour vous-mêmes, à ma place. Je suis sûr que si vous regardiez les maux d'autrui du même œil que les vôtres, il n'est personnes qui ne s'indignât de l'injure qu'on m'a faite; pour de telles pratiques, vous trouveriez tous les peines existantes trop légères.»*


– Si j’en crois ce que je vois et surtout ce que je ressens, Auguste, voilà de bien sombres pensées pour quelqu'un qui n'est point jugé!
Il n'est rien de tel que l'obscure chemin des pensées pour accéder à quelque lumière!
Faites quelques efforts de souvenance et admirez combien le moindre des cerveaux en produit!
Se souvenir est un désir qui prend forme... 



Auguste, en sa mémoire, se découvre.


– Ce que je pensais alors y est encore et pour toujours inscrit. Si tu m'avais donné les mots pour nommer tes désirs, j'eus pu alors devenir un homme à ton image et plus grand que moi-même.
Il est un fait certain: je n'étais point dans le lieu-dit, mais, pardonnez le jeu, dans le non-dit...
Je veux dire par là que mon esprit sans cesse voyageait sans qu'il me soit possible de vous y faire inviter. Par contre ce que je ne parvenais pas à empêcher était ces légers accès de colère à l'encontre de ce qui me parvenait et que, en pleine clairvoyance, je considérais pour ce qu'elles étaient...
– C'est-à-dire?
– … des bêtises...



* Lydias, Sur le meurtre d'Eratosthène

mardi 18 juin 2024

Grand œuvre

 
« Ce n'est donc que par la culture que nous connaissons la culture, c'est uniquement par la question fondatrice, constamment réitérée, que nous la découvrons, et ce sont nos propres yeux que nous voyons et qui, du fond de cette glace, nous interrogent.»

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.52






– Une légère impatience se fait jour... comme une petite faille lézarde le mur qui donne à découvrir comment le temps fait son grand-oeuvre.



– Vu de loin, tout là-haut, vous me semblez bien différent. Si je ne vous savais point être là c’est tout juste si je pourrais vous reconnaître…

 
– Qui peut dire ce que j'ai sur le cœur ?

– Par une drôle de coïncidence, si j’en crois ce qui pense en moi quand je vous vois là en bas, il est possible qu’il en soit de même pour moi… 
– Mais?
– Comme vous le dites, mes sens me tiennent un tout autre discours ce qui m’amène à douter sans savoir si ce doute concerne mon esprit ou mes sens…


– Si j’en crois ce qui me passe par la tête c’est le vide de l’esprit qui engendre les monstres…




lundi 17 juin 2024

En jeu

 
« Il y a certes des différences entre le rituel inné et le rituel du jeu: le premier enferme en effet la totalité de la vie des individus et de leur communauté. A aucun moment un choucas ou un goéland n'échappe à sa loi. Le jeu rituel, par contre, ne représente qu'un moment de la vie, même s'il rayonne sur le reste du temps par l'anticipation et le souvenir. Il se substitue au rituel inné. Il est une création et il peut, dans un premier temps, nous paraître une libération, car il offre la possibilité de poursuivre un but dans le cadre de certaines règles. Mais bientôt lui aussi s'institutionnalise, se barde de certitudes et provoque une mise en question.»

Michael Francis Gibson, Ces lois inconnues, Métailié, p.52



– À quoi jouent Auguste et Justin?
– Nous aussi, nous jouons le jeu!
– De quel jeu parlez-vous?
– Il est de ces choses qui se disent et que l’on répète sans y penser: cela se dit… Le jeu, qui se dit et se déroule est celui auquel nous ne pouvons échapper.
– Cela ne me dit rien.
– Cela n’est pas sensé parler.
– Cela n’a pas de sens… comment cela peut-il se dire sans parler?
– Comme vous le dites: cela n’a pas de sens… Le sens, nous l’inventons…


Sans le savoir Auguste joue son jeu… joue le jeu. Comment s'est-il retrouvé les deux pieds sur terre… Un vrai mystère… et sans une égratignure.

dimanche 16 juin 2024

Hasard

 «À l'éventualité que la terreur de l'univers ne soit pas encore fossilisée et que ce dernier n'ait pas épuisé toutes ses reprises de feu.»
 «Demandons-nous également s'il n'y a pas quelque forme, quelque configuration, quelque modèle qui s'apparenterait à l'art dans cet univers que nous pénétrons, composé de catastrophes et d'éléments manquants»

Norman Maclean, La part du feu, Rivages 



– Voyez combien le hasard, s’appuyant sur le plus léger mouvement peut grandement faire évoluer une histoire!
 







Après être entré de force.
Après avoir voyagé, un peu contre son gré et joyeusement ébranlé les colonnes, conséquence du probable aveuglement dû à un couvre-chef plus ou moins mal porté, Auguste tombe.
Il ne peut saisir la main qui se tend et se raccroche à ce qu'il peut...
Et ce peu, une guirlande, se révèle quelque peu chargée... 


– Regardez M. Loyal ! Voyez-vous cette lumière que je ne peux voir mais que je peux sentir de mes mains?
   Auguste chaloupe dangereusement… chaloupe voluptueusement... semble se rétablir... Brusquement, il le sent, ses idées sont devenues claires…

samedi 15 juin 2024

Comique

 

 

 


 

– Il y a peu, vous alliez me dire une chose importante à propos d'Auguste...
– Je ne suis pas sûr de comprendre à quoi vous faites allusion!
– Si je ne me trompe, il me semble que cela avait à voir avec ce qui lie Auguste et Justin...
– Je vois... mais avant que je vous le confie, j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.
– Je crois qu'il est assez évident que l'on ne peut trouver plus grande opposition que celle d'Auguste et de Justin...
– Et si je vous disais que malgré cette opposition si évidente si cache un lien profond que vous n'imaginez point!
– Et quel serait ce lien?
– C'est très simple le lien n'existe que dans votre imagination!
– Vous voulez rire!
– Non... en réalité Auguste et Justin ne font qu'un...
– Je crois que je ne comprends pas… Voulez-vous dire qu’ensemble ils ne forment qu’un? Comme on le dit d’un duo?
– Je comprends votre scepticisme mais ma réponse est beaucoup plus simple… Chacun regarde l’autre comme le ferait un montreur de marionnettes…  mais le même cœur bat pour les deux. Auguste et Justin sont tous deux faits du même limon, ils sont une seule personne… 
– C’est tragique…
– Je dirais plutôt tragi-comique…
– Vous serait-il possible de me le démontrer?
– Vous voulez rire!
– Je ne vois pas ce que cela pourrait avoir de comique…


vendredi 14 juin 2024

L'ordre des choses


« Sans doute, il est des œuvres où les deux forces imaginantes coo-pèrent. Il est même impossible de les séparer complètement. La rêverie la plus mobile, la plus métamorphosante, la plus entièrement livrée aux formes, garde quand même un lest, une densité, une lenteur, une germination. En revanche, toute œuvre poétique qui descend assez profondément dans le germe de l'être pour trouver la solide constance et belle monotonie de la matière, toute œuvre poétique qui prend ses forces dans l'action vigilante d'une cause substantielle doit, tout de même, fleurir, se parer. Elle doit accueillir, pour la première séduction du lecteur, les exubérances de la beauté formelle.»

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves
 

 
 
Comment faire la part entre les rêves et les expériences ? Auguste, lui aussi, comme Bachelard, se demande si la logique onirique de l’invention n’est-elle pas identique à celle sur laquelle le conteur brode son récit?
 


Petit résumé : 
Monsieur Loyal et Auguste se rencontrent.
Ils ont fait superficiellement connaissance, en, souriant comme il convient.  Ils échangent quelques banalités.


– Cher Monsieur Loyal, je ne vois pas encore les choses comme après! 

 
Pour qui ne le connaitrait point, très vite le caractère d'Auguste se révèle. Il refuse d'obéir à M. Loyal, ce qui donne le ton de l'action.

– C'est dans l'ordre des choses, Monsieur Auguste !
Prenez-les comme elles viennent... 


Pressé d'entrer en scène, Auguste est remis à l'ordre fermement.
Le ton est donné... 

Tout vient à point pour qui sait attendre.
– Les choses arrivent, Monsieur Auguste. Apprenez que je suis le garant de l'ordre de ce monde.

D'une main ferme il stoppe Auguste et appuie fortement sur son chapeau.

– Ce que je vous propose avec fermeté est un dépassement…

Naturellement, Auguste, empêtré dans son chapeau et déséquilibré par Justin Loyal, n’entend rien…

 
 

jeudi 13 juin 2024

Silence

  



– Si je vous le disais… vous seriez fort surpris…
– Dites-moi!
– Ce n’est qu’une hypothèse…



- Acceptez la main qui vous est tendue!
- J'insiste, je n'y vois rien!
- Peu importe qu'elle soit visible ou non! Prenez-la !
La main... les mains se tendent ...


 se rapprochent... se frôlent et se ratent... Auguste poussant un cris déchirant, fait semblant de tomber et s’accroche à la guirlande, opère un retournement et se rétablit sur l’autre colonne en chassant Justin qui n’a guère le temps de réfléchir avant de saisir une corde avec élégance…

– Je brûle de devoir être ce héros que je sais ne pas vouloir être… ce guignol avec un masque qui n’est point mien porté sur un visage arraché et tout cela avec un sourire auquel je ne puis échapper… Et l’autre, qui est-il donc, ce demeuré emmuré dans son linceul, obsédé du bâton et bavard poseur qui voudrait que je fasse silence…


mercredi 12 juin 2024

Équilibre

 

 
Auguste, loin d’obéir, s’est réfugié sur l’une des colonnes du chapiteau. Le chassé-croisé continue. 
– Cessez donc de tirer sur la corde. Vous voyez bien que ma colonne branle de telle manière que mon équilibre est en danger!
– Je n'y vois rien et il me semble que vous en êtes la cause...
– Arrêtez, vous jouez avec le feu… et vous serez bien avancé lorsque je ne serai plus là pour vous guider...
– Peut-être en est-il de même pour vous… Qui peut savoir?