jeudi 7 mai 2009

Je me suis mis à la rédaction des Vies pour rendre service aux autres ; mais si par la suite, j'y ai persévéré et même avec complaisance, c'était dans mon intérêt. L'histoire me présente, comme en un miroir, les vertus des grands hommes, auxquelles je m'efforce de conformer ma vie pour l'embellir. Accueillir à tour de rôle chacun de ces modèles et lui donner l'hospitalité de l'histoire, n'est-ce pas l'équivalant d'une liaison intime ? On peut ainsi contempler leur grandeur et apprécier leurs qualités en prenant dans leur activité, pour arriver à les bien saisir, les traits les plus importants et les plus beaux.
- Hélas, hélas quel sujet plus grand que celui-ci pourrais-tu trouver ?
Et aussi, quoi de plus efficace pour redresser le caractère ? Car si Démocrite affirme que qu'il nous faut souhaiter d'avoir des images heureuses et de recevoir de l'atmosphère les représentations les mieux adaptées à notre naturel et les meilleures, au lieu de des visions mauvaises et sinistres, la théorie qu'il introduit ainsi dans la philosophie est fausse et conduit à des superstitions infinies ; nous, au contraire, par notre commerce avec l'histoire et l'habitude de l'écrire, nous nous rendons capable de recevoir toujours dans notre âme le souvenir des hommes les meilleurs et les plus illustres.

Plutarque, Vie de Timoleon



- Anarchasis, pourquoi sommes-nous ici à converser plutôt que de marcher à la recherche de votre ami?
- De qui parlez-vous ?
- De celui que vous recherchez.
- Ce n'est pas mon ami.
- Ah ! Ainsi j'avais raison, vous poursuivez quelqu'un. Qui est-il?
- Un homme illustre et peut-être le meilleur des hommes.
- Pourquoi s'est-il enfui et pourquoi le recherchez-vous ?
- Parce que j'aimerai lui poser une question.
- Vous ne répondez qu'à la moitié de la question.
- Il serait plus juste de dire qu'il ne s'agit pas d'une mais de deux questions.
- Alors, la réponse à la deuxième.
- C'est la même.
- D'où venez-vous ?
- Qui ? Moi ou lui ?
- Vous d'abord.
- Je viens de la cité d'En-Haut.

- Où est-ce ?
- Très loin d'ici, près de Là-bas.
- À quoi ressemble-t'elle ?
- À tout et à rien.
- Et lui ?
- Il vient d'Ici.
- Je ne comprend pas.
- C'est normal. Vous ne pouvez comprendre.
- Dites-moi quand même.
- Il se peut que cela soit long.
- Je vous en prie.
- Pour commencer, il faut vous imaginer que le monde dans lequel nous vivions ne ressemble en rien à celui dans lequel nous nous sommes rencontré.
- Vous parlez de lui et de vous ou de vous et de nous.
- Des deux. mais ne m'interrompez pas sans cesse. Notre ville est sacrée ou du moins considérée comme telle par ses habitants. Elle est en constante construction. Chaque jour chacun contribue à sa construction. Ainsi elle devrait s'étendre de plus plus en plus.
- Pourquoi n'est-ce pas le cas ?
- La ou plutôt les raisons en sont fort simples. Par un concours de circonstances malheureuse, une part du psychisme de ses habitants s'est transformée et qui, au fil du temps, a donné lieu à une sorte de malformation physique qui fit qu'ils perdirent certaines capacités pour en acquérir d'autres, fort néfastes. Pour comble de malheur cette disgrâce s'est transmise de génération en génération de telle sorte qu'elle est, aujourd'hui, considérée comme normale.
- Je brûle de savoir laquelle...
- Plus tard, laissez-moi vous dire l'essentiel pour votre compréhension. À la suite de certains événements de plus en plus éloignés de toute conformité aux usages en vigueur dans notre belle communauté, il fallut que le Grand Conseil se résolut à créer une fonction nouvelle qui devait aider à corriger ce qui pouvait l'être encore. Et c'est sur moi que le choix s'est porté pour exercer cette fonction.
- Vous ne m'avez pas encore dit quelle est cette fonction.
- Je fus nommé "Maître Fouettard".
- Vous voulez rire !
- Pas le moins du monde, mais vous m'étonnez.
- Pourquoi cela ?
- Parce que votre intuition est plus grande que ce que je croyais. Il se trouve que justement, nombre de nos fidèles, suite aux déformations dont je vous parlais tout-à-l'heure, se mirent à se prendre au jeu et se mirent à construire de plus en plus, avec un sérieux et un enthousiasme inimaginable. Ils construisaient avec une force et une abnégation telles, qu'en très peu de temps, ils avaient atteint une hauteur vertigineuse. Cependant ils avaient oubliés que notre ville avait été fondée au-dessus d'un marécage.
- Tout ne m'explique en rien le pourquoi de votre titre si bizarre.
- Il faut vous dire que notre "Grand Bon Souverain" qui nous gouverne avec régularité et justice porte dans son dos de grandes ailes formées de plumes innombrables et très longues qu'il peine à porter. Au bout de chacune de ces plumes un œil brillant vous regarde de telle manière que chacun de nous se met à trembler.
Je reçus, en tremblant et avec grande émotion, une de ses plumes qu'il avait arrachée de ses propres mains devant moi. À son invitation, je tendis mes deux mains en baissant la tête. J'osais à peine la toucher. Légère et soyeuse la plume ne fit que m'effleurer et s'envola joyeusement au-dessus de nos tête. Stupéfaites dans un premier, toutes les personnes présentes, oubliant peu à peu le cérémonial de rigueur dans ces cas-là, se mirent à gesticuler en tous pour tenter de recueillir cette plume que tous, dans un même sentiment, estimaient qu'elle ne devait point toucher le sol considéré comme impur. Tous ces mouvements n'eurent que deux conséquences, ils encourageaient le vol de la plume par les courants d'air qu'ils généraient et, chose plus surprenante, ils firent sourire notre Maître vénéré.
- C'est un bon présage, dit-il.

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