mercredi 20 mai 2009

- Parlez-moi un peu de cette colonne. Et puis, surtout, expliquez-moi pourquoi je me suis mis à penser que vous l'aviez , en quelque sorte, inventée. J'ai l'obscur sentiment que vous me cachez quelque chose.
- Vous avez raison. Mais n'en est-il pas toujours ainsi. Qui peut dire en un instant l'entier de ses pensées. Regardez avec quelle impatience vous exigez d'accéder à cet entier, indépendamment de sa grandeur.
- Je me dois de reconnaître une part de vérité dans ce que vous dites, mais cette part de vérité me dit aussi qu'elle en cache une autre et que ce fait ne me semble pas être fortuit.
- Bien, lorsqu'il a retrouvé la colonne, Anarchasis n'était pas seul...
- Vous étiez avec lui.
- Vous avez raison, mais si je me dois de vous exprimer mes sentiments d'admiration pour votre perspicacité, je dois aussi vous prévenir contre tout emportement qui ne ferait que freiner le récit. S'il existe nombre d'esprits tourmentés, difficiles à comprendre et plus encore à saisir, il n'en faisait pas partie. Anarchasis était un être simple et sa vie l'est aussi. La seule étrangeté qui puisse lui être attribuée est justement cette simplicité. Ainsi il ne me fut guère difficile de le retrouver dès le moment où je reçus l'ordre de le faire. Il suffisait de penser simplement, comme lui. À peine fermais-je les yeux que le flot de ses pensées jaillissait en moi comme une source limpide et lumineuse. Il me suffisait de suivre le courant et en quelques jours, sans grand effort, je l'avais trouvé. Mes pas me guidaient sans l'ombre d'une hésitation. Il était debout au milieu d'un cercle de pierres et regardait fixement le sol. Sans me jeter le moindre regard, il me dit:
- "C'est là. D'infinies richesses gisent ça et là, insoupçonnées et immobile. Emprisonnées dans les entrailles de la terre, leurs esprits puissants nous invitent à les rejoindre. Si chaque chose est à sa place, c'est ici qu'il nous faut creuser."
Vous imaginez quel était ma surprise. Je ne savais pas ce qu'il entendait par là, mais je me mis à creuser avec lui. Nous ne parlions pas. Le seul bruit que nous entendions était le bruissement du sable qui filait entre nos doigts et le souffle du vent. Il nous fallut plusieurs jours avant que le sommet de la colonne nous apparaisse. Nous nous gardions bien de la toucher. Nos mains creusaient à peu de distance et le sable se détachait de lui même. Si nous pouvions revoir les images accélérées de ce mouvement, nous verrions alors cette œuf gigantesque émerger littéralement de ce désert de sable. C'est peu dire que ce désert ressemblait à un mer sur laquelle nous marchions. Derrière nous une immense vague, objet de notre labeur sur laquelle le vent s'obstinait, nous regardait de plus en plus haut. Bientôt nous n'eûmes plus qu'elle pour tout horizon. Ce que nous dégagions il nous fallait le porter au delà de cette montagne qui menaçait, sous l'effet du vent et de sa grandeur, de s'effondrer sur nous et qu'ainsi nous rejoignions dans l'éternité ce que nous voulions libérer.

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