dimanche 10 mai 2009

C'était il y a quelques jours. Ils restent présents dans mes pensées comme des images miroitantes, apparaissant et disparaissant au gré du vent. Ce matin-là, comme souvent, je suis allé promené mon chien. Nous sommes allés rendre visite aux chevaux d'une ferme voisine, à moins d'un kilomètre d'ici. Le ciel était gris. Pourtant, ce gris n'était pas triste. Il enveloppait plus qu'il ne menaçait. Une grisaille plutôt sombre mais dans laquelle les couleurs pompent un peu de lumière qui les nourrissent. Au loin les oreilles des chevaux sont depuis longtemps dressées. Ils regardent placidement venir à eux ces formes d'un autre monde. Le monde qui est au-delà de l'enclos. Arrivé à la barrière, le chien cesse de virevolter et s'assied à mes pieds. La mère et son petit s'éloignent sans hâte jusqu'à ce qu'une distance suffisante se soit établie.


La mère s'est postée devant, la tête bien haute, les narines frémissantes, les oreilles pointées vers nous et ne bouge plus. Le poulain, légèrement en retrait nous regarde aussi, mais avec un peu moins de sérieux. Nous sommes immobiles, mais ce n'est pas une immobilité figée. Je prends garde à mes mouvements, je fais en sorte qu'ils soient naturels et qu'ils s'inscrivent dans une suite prévisibles dans laquelle tout surprise est exclue, mais je ne cesse pas de bouger, ni de respirer. Nous existons. Je sais aussi que je ne suis pas le principal objet de leur curiosité. C'est le chien qui les intéresse d'abord.
La jument a repris le cours normal des chose. Elle broute calmement en marchant avec lenteur. Le poulain la suit sans s'éloigner d'elle. Il nous regarde par intermittence pendant que sa mère feint de nous ignorer. Leur marche les éloigne de nous. J'attends sans impatience.


Brusquement le poulain se met à galoper. Un galop puissant, une chorégraphie brute et brève qui se termine abruptement par une volte-face en forme de ruade.


Puis, aussi rapidement qu'il s'était élancé, il reste planté sur ses quatre pattes trop grandes pour lui et encore tremblantes de l'effort fourni, inconnu jusqu'alors.
J'admire l'ordonnance et l'éclat de son pelage. Un brun rouge foncé à l'éclat sauvage qui s'assombrit en un noir profond à chacune de ses extrémités. Lui, semble surpris, regarde et hume ses jambes indécises. Le galop reprend, plus long. Il tourne autour de sa mère qui se prend au jeu. Ils viennent dans ma direction. La mère accélère et dévie la trajectoire. Le sol tremble. Je sens mon cœur qui bat. Ils s'éloignent à nouveau.

Le poulain, à nouveau tremblant s'agenouille et se couche. Au milieu des herbes à demi-hautes, sa tête tourne sur elle-même. Il regarde avec patience et une intense curiosité toutes ces herbes qu'à coté sa mère est en train de manger. Il renifle, s'imprègne et mémorise sans peine ce qu'il croit ne pas connaître encore. Un petit rayon de soleil s'est frayé un chemin jusqu'à nous.

À l'extrémité de chaque brin d'herbe et de chaque feuille une petite goutte de rosée s'est formée qui scintille de mille feux. Mille regards en lesquels le ciel s'est refermé et dans lesquels il peut se voir. Miroirs de perles dansantes, galaxies infinies apparaissent et disparaissent en un instant. Le petit cheval s'est relevé et galope à nouveau en des cercles ouverts et fermés. Très vite fatigué et légèrement tremblant, il se presse contre le flanc gris léger, presque blanc, de sa mère. Il s'appuie sur le ventre chaud, sa tête se tend et cherche à rejoindre le pis nourrissant. La jument, dans un geste parfait, contracte sa puissante jambe postérieure et l'avance dans le même temps que son poulain avance son museau. Surpris et docile, il devra attendre et relève la tête. Alors la jument fait un mouvement inverse, sans cesser de brouter, elle recule avec précision son train arrière, plante fermement son sabot dans la terre, laissant libre le passage par lequel le nouveau-né vient se rassasier.
Heureux le cavalier qui saura retrouver l'aisance, la puissance subtile et la douce fermeté de ces gestes conciliants.
Nous repartons heureux. Moi, pour ce que j'ai vu et mon chien pour ce qu'elle voit. Elle reprend ses folles gambades et folâtre dans un monde qui m'échappe. Derrière nous les oreilles se redressent.

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