mercredi 29 mai 2024

Non-sens


«Complexe est la question de «la partie pour le tout»: quand la partie est un jeu, dont se joue une partie -qui est donc répétable-, en quel sens vaut-elle pour le tout de la vie? À la rigueur, elle vaut pour tout ce qui de la vie est... répétable. Mais pour le «tout»? Il faudrait qu'il y ait là, dans cette partie, du «divin», du «souffle créateur» de vie; il faudrait que le souffle de la vie ait accepté de se diviser et de faire cette grâce incroyable de venir se trouver là, dans ce cadre, cette partie, cet étant. Or un «étant» n'engendre que s'il passe par l'être, et par le biais d'un autre «étant». Ce qui nous ramène à la question de la passe, une fois de plus; au-delà de ce qui se passe entre un joueur et l'autre. Car il est clair qu'on ne joue pas seul.»

Daniel Sibony, Le jeu et la passe, Seuil, p.61

 


 – Finalement, que s'est-il passé avec Auguste lors de son passage de la porte basse?



– Après moult tentatives... personne ne sait comment... la porte basse est devenue la porte haute. Mais n'allez point croire en une hauteur spirituelle... non, Auguste et Justin se sont retrouvé sur les hauteurs du chapiteau! Si bien que personne ne sait s’il a réellement passé la porte!.. su bien que tout était à refaire… et, comme vous pouvez l’imaginer, ce n’était point possible… Il eut fallu avoir du temps… et de temps, vous le savez déjà, il n’y avait point. Le public, bien qu’il fut sous le charme des deux équilibristes, s’impatientait quelque peu. Entre soupirs de lassitude et souffle coupé, il ne comprenait point ce qui se passait et il était partagé entre les frissons de panique et l’émerveillement devant un tel non-sens… Bien malin eût été celui qui eût pu discerner la part de maladresse de l’infinie grâce de certains de leurs mouvements…

– Et alors?

– Alors l’angoisse, dans l’urgence, a changé de camp. La folie et la mort pour un instant se chargent, par le biais du frisson et du rire, de ressusciter l’envie, la vie comme enjeu… L’être dans l’ombre, sorti de son état de chose, seul au milieu de tous, face à ce qui est mis en lumière, en secret se dresse, ouvre les yeux et ressent isolément ce que tous ensemble ressentent.
– Cela vous me l’avez déjà dit…
– Je vous l’ai dit mais nous ne sommes point les seuls qui répétons… Par ailleurs, la situation, au rythme de l’orchestre où les musiciens, suivant inconsciemment les gestes des acrobates, sans vraiment savoir comment, passaient d’une musique sombre à des légèretés sauvages, vous le verrez, ne se répète point vraiment… du moins pas exactement… et nul n’eut pu savoir que c’était exactement ce que pensaient, par intermittence, Auguste et Justin… tantôt l’un… tantôt l’autre…



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