dimanche 23 décembre 2007

Un livre-miroir


Rosa et Sophia étaient aussi proche l'une de l'autre que deux fleurs issues du même bosquet, mais chacune, si j'ose dire, me guidait dans des domaines aussi contraires que le jour et la nuit. Si je devais croire aux bribes de conversation qu'une brise irrégulière transportait à mes oreilles et si je parvenais plus ou moins bien à traduire le langage propre à leur univers, celui-ci grandissait insensiblement pendant que le mien rétrécissait sans qu'il me fut permis d'en douter. J'étais un peu perdu et sans réaction comme notre digue quand l'eau monte. Je regardais comme elle monter à mes pieds un monde nouveau qui ne demandait qu'à être déchiffré comme un livre et dans lequel je risquais fort de disparaître. Un livre dont les pages se renouvellent par vagues successives et dont je ne pouvais rien relire jamais. Il générait son propre langage sous forme d'images qu'il convenait de décoder. Un livre-miroir où le ciel dans son entier se reflète et joue infiniment. ll me fallait beaucoup de travail pour concilier l'infini des vagues et le langage ardu de mes lointaines compagnes. Insaisissables et riantes mouettes à l'assaut du sommet des vagues, elles murmuraient sans fin...
Quand un matin, alors que mes yeux à peine entrouverts peinaient encore à me reconnaître dans mon entier, sans que je n'y compris rien, je trouvais dans le miroir deux jeunes marins que je ne connaissais point. Je mis cela sur le compte d'une mauvaise nuit et refermais les yeux. Cela fit reparaître des images que je pouvais reconnaître, celles de ma jeunesse quand je fis mon premier voyage. J'avais revêtu un costume en tous points semblable à ceux que je venais de voir... La confusion reprenait place dans mon esprit. Je rouvrais les yeux. Rien d'autre que mon visage fatigué ne prenait place dans l'impassible miroir qui me tenait tête.

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