dimanche 6 janvier 2008

Abstraction et réalité


Ainsi le jeune Tancrède n'eut guère d'autres possibilités que de se mettre à lire en chevauchant les ânes de son père. Pour lui rendre justice, celui-ci eut l'intelligence de le laisser faire. Il écrivit en marge de son traité : "il faut reconnaître que le la capacité qu'a Tancrède de maîtriser ces ânes non-châtrés, enclins à mordre et difficiles à gouverner est tout-à-fait remarquable. Moi qui ai déjà de la peine à lire dans le confort douillet de mon salon je ne puis qu'admirer la tenue de sa lecture au grand galop qui peut être regardée comme une oeuvre magistrale et cela dès sa septième année. Si je n'avais crainte d'encourager ce penchant, je me demanderais si cette lecture ne prend pas une part active à l'éducation de sa monture tout autant que de lui-même ?"
- Cela m'obligea, dira Tancrède, à concilier l'abstraction et la réalité. La réalité est qu'en fait je lisais de telle manière que je ne sois entendu que par ma monture. Ce n'était pas une articulation banale et conforme aux traditions en vigueur mais un chuchotement alterné avec des périodes de sifflement plus ou moins aigus à un point qu'il est difficile de mieux décrire que cette citation du petit traité de Xénophon, qui je m'en doutais avait très certainement servi de modèle à mon père :
... "Il est bon de s’accoutumer à être calme, surtout sur un cheval ardent, et à le toucher le moins possible en toute autre partie que celles qu’on touche pour assurer son assiette. Un précepte bon à connaître, c’est qu’on adoucit un cheval en le sifflant et qu’on l’excite en claquant de la langue. Mais si au début vous le traitez doucement après un claquement de langue et durement après un sifflement, il apprendra à s’animer au sifflement et à se calmer au claquement." *



* Xénophon, Le traité de l'équitation

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