mardi 6 juin 2017

Ce qui se dit...

« Regarde les yeux, comme ils regardent :
Qui est celui qui regarde de l'intérieur de mes yeux. »


Djalâl od din Rumi, Rubai'yat.


Ce qui se dit n'est pas toujours ce qui se découvre. Platon l'Ancien, encore enfant, a plongé dans une zone sans-nom que le pont ne fait, au mieux, que traverser. Il ne reconnait rien de ce qu'il y découvre.
– Que m'importait le nom puisque j'avais la chose!

" Le dirai-je? Amour tourmentait le tendre Poliphile : les traits de Polia, toujours présents à ma pensée, occupaient mon âme tout entière; je m'enivrai du plaisir de les reproduire sans cesse; ils remplissaient ma vive imagination des charmes de Polia; et le sommeil étendant ses voiles sur mes yeux appesantis ne put me ravir en entier le bonheur d'y penser, ne put m'ôter pour longtemps le plaisir de la voir." *



On ne peut dire et penser à la fois. Bien orgueilleux sera celui qui prétendra le contraire mais la force inhérente aux mots et à leurs assemblages provoquent la pensée. Quand cela a-t'il lieu? Ce qui est presque sûr c'est que dès le moment où la pensée s'est mise en mouvement, quelques fois sous l'action même de ces mots, ce qui était en train de se dire continue presque par inertie jusqu'à ce que la pensée lui insufflant une nouvelle direction ou une énergie nouvelle elle va se trouver transformée si ce n'est dans le fond, en tous cas dans sa forme. C'est le cas de Platon l'Ancien tenant la main de son père dans un au-delà qui n'appartient à personne et que chacun peut faire sien.


"Décrire une image consiste à la mettre en mots, et puisque ces ces mots ont leur histoire et leur vie propre, qu'ils pensent avec et contre nous mais le plus souvent dans notre dos et sans nous, c'est dans cette opération apparemment transparente que s'immisce la catégorisation qui, par la suite contraint la lecture. De sorte que dès le premier mot prononcé, c'est déjà trop tard: on entend déjà grincer ls premiers rouages de la machinerie interprétative, qui travaille à rabattre le sens des images sur des textes déjà lus ou que l'on vient de découvrir pour l'occasion quand il faudrait au contraire les laisser aller, ces images, seules, à leur train."***




 * Le songe de Poliphile

*** Conjurer la peur, Essai sur la force politique des images 
Patrick Boucheron



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