lundi 15 avril 2019

(15) Le dernier homme




« Dès qu’il me fut donné d’user de ce mot, j’exprimai ce que j’avais dû penser de lui: qu’il était le dernier homme. À la vérité, presque rien ne le distinguait des autres. Il était plus effacé, mais non pas modeste, impérieux quand il ne parlait pas; il fallait alors lui prêter silencieusement des pensées qu’il rejetait doucement ; cela se lisait dans ses yeux qui nous interrogeaient avec surprise, avec détresse : pourquoi ne pensez-vous que cela? Pourquoi ne voulez pouvez-vous pas m’aider? Ses yeux étaient clairs, d’une clarté d’argent, et faisaient songer à des yeux d’enfant. Il y avait, du reste, sur son visage quelque chose d’enfantin, expression qui nous invitait à des égards, mais aussi à un vague sentiment de protection.
Certainement il parlait peu, mais son silence passait souvent inaperçu. Je croyais à une certaine discrétion, parfois à un peu de mépris, parfois à un trop grand recul en lui-même ou hors de nous. Je pense aujourd’hui que peut-être il n’existait pas toujours ou bien il n’existait pas encore. Mais je songe à quelque chose de plus extraordinaire : qu’il avait une simplicité dont nous n’étions pas surpris.»

Maurice Blanchot, Le dernier homme, Gallimard

Aucun commentaire: