" J'ai écrit cette histoire parce qu'elle me concerne. J'ai séjourné longtemps à l'intérieur. J'ai raccourci de plus en plus les distances qui me séparent de l’héroïne, j'ai occupé tous ses vides, et il n'y a rien aujourd'hui chez elle que je n'accomplirais. Je suis donc épuisée et, maintenant que le récit est achevé, il me faut reprendre haleine. Comment? Je l'ignore. En me lançant peut-être dans la rédaction d'un autre livre. Ou en lisant le plus possible d'ouvrages sur le sujet dont traite mon histoire, de façon à me placer à l'écart, de côté, et faire ce qu'on fait pour vérifier la cuisson des gâteaux: y planter un cure-dent, piquer le texte pour déterminer s'il est est mûr."
Elena Ferrante, Frantumaglia, L'écriture est ma vie, Gallimard
– Croyez-vous que notre maître, lui aussi soit épuisé?
– C'est ce qu'il dit...
– Il me semble percevoir une légère suspension à la fin de votre réplique...
– C'est cela... Notre temps est comme suspendu...
– Au fond de notre carton?
– Nous ne sommes pas au fond d'un carton.
– Mais pourtant n'est-ce pas ce que vous m'avez laissé entendre?
– Ce n'est pas ce que je vous ai laissé entendre... c'est ce que vous avez voulu entendre.
– Alors? Où sommes-nous?
– Au pire dans un disque dur...
– Et au mieux?
– Nous vivons dans l'esprit de notre maître...
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