jeudi 23 avril 2015

23 avril / Un fou... ou un sage ?

"Il m'avait de nouveau charmé, capturé, l'ami,
et , sans que je le devine, il s'apprêtait à prendre une sorte de revanche.
Mais sur qui, sur quoi ?
Je ne le sais toujours pas : peut-être sur les mots imprévus qui tombent du ciel,
viennent aux lèvres des ignorants, de ceux qui ont perdu la langue de leurs ancêtres,
étouffé le patois des origines pauvres, boueuses, l'italien, l'arabe,
le parler rude des ateliers, à l'usine, et n'ont pas gagné d'autres mots,
neufs et faciles, communs et lisses, vont vivoter dans la honte,
la crainte de ce qui pourrait leur échapper, les révéler, les trahir."

Morteparole
Jean Védrines


– Croyez-vous que le devoir est dépassé? 
– Certes non, mais comme le dit Comte-Sponville * :
" Qu'on n'en conclue pas trop vite que le devoir est dépassé! Il ne l'est que par la vertu, lorsqu'elle triomphe. Il continue donc de s'imposer, tant que la vertu fait défaut –c'est-à-dire, de très loin, le plus souvent. Le Nouveau Testament (qui est une éthique de l'amour) accomplit l'Ancien (qui est une morale de la Loi), mais ne l'abolit pas. Cela vaut tout autant pour les athées. Seul un sage pourrait se passer de morale. Seul un fou peut y prétendre.
– Votre maître est-il un fou... ou un sage ?
– Je ne saurais vous répondre avec certitude tant il vrai que dans le premier cas comme dans le second les apparences peuvent être trompeuses... 
– Ne voudriez-vous pas continuer à me raconter la vie de votre Maître Auguste ?
– Vous avez raison, veuillez me pardonner mes digressions, mais la vie est ainsi faite que si vous accédez à la parole, elle vous entraîne...
– Auguste Perroquet, la vie de votre Maître...
– Oui, c'est cela... Je vous disais hier que déjà tout enfant qu'il était, mon Maître était fasciné par la puissance de certaines histoires. Ainsi, il m'a raconté que la première de ces histoires qui lui fit grande impression était celle d'un enfant. "Jamais je n'en connus le début, ni la fin" me dit-il, "mais à jamais dans mon esprit, elle se déroule. Dans le silence des mots et le fracas des événements qu'ils provoquent, par magie, elle se renouvelle sans cesse". Il ne sait plus qui la lui a raconté, si il l'a lue ou entendue et peu lui importe. Il me dit que le titre qu'elle pourrait porter, si elle en avait un, serait :
L'enfant s'éloigne et l'homme grandit
Dans peu de temps, l'enfant qui croit encore que ses pensées peuvent influencer sur les événements, aura disparu...



* Le sexe ni la mort
Trois essais sur l'amour et la sexualité
André Comte-Sponville 
Le Livre de Poche ( p22 )

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