lundi 15 août 2016

"La Grande Niche et le Grand Canin"

Le temps passe
et Thomas, notre héros qui ne croit que ce qu'il voit,
ne sait comment se sortir du labyrinthe dans lequel
il se sent un peu perdu. Il s'impatiente quelque peu
lorsque des hypothèses, quelles qu'elles soient,
sont devenues, par habitude ou par obéissance aveugle,
des récits plaisants, des vérités indiscutables
ou d'inaliénables idéaux. Tout cela, ajouté à la foi,
forme un tout à géométrie variable
qui, inlassablement suscite la violence.
Les messages que Thomas a envoyé à sa hiérarchie
semblent rester lettres mortes. Probablement les vacances...
Encore faudrait-il en préciser le sens de cette vacation,
des codes qu'elles impliquent et surtout
du sens de la liberté que ce mot devrait évoquer.
Cela le met dans une situation un peu critique...
Il s'imagine qu'il ne peut compter sur personne
pour distinguer ce qui doit l'être, et il se demande
s'il va vider un peu de ce sac trop lourd
que certains voudraient le voir porter.
Il sait à quel point l'hypocrisie règne
sur la discrétion absolue à laquelle il serait tenu...
Et puis, après tout , lui aussi pourrait être en "vacances"
et s'accorder, avec une certaine ambiguïté, une sorte de licence hors du temps...
– Chaque minute qui passe nous rapproche
d'un grand déballage que j'aurais voulu éviter...
mais comment faire quand la bêtise et la censure,
à ce point, s'en mêlent ?
Que faire de ces déchets de la pensée mécanique que l'on pourrait appeler,
en filant la métaphore, alliage du bas et du haut, du subtil et de l'épais,
du matériel et du philosophique,
Thomas, sans se soucier de masquer sa pensée
se lance et ose nommer : le fumier philosophique...
voir même un fumier qui serait spirituel...
Laissons-lui le courage d'aborder ces rives douteuses du mieux qu'il peut et souhaitons-lui bon courage pour s'en sortir, sinon avec élégance, au moins avec esprit et honnêteté,
et même, cerise sur le gâteau, avec bienveillance...
La base est saine quand nous cessons de produire sans recourir à aucun intrant ni produit chimique ou intoxicants, a-t-il dit à ses collègues lors de sa dernière conférence. Ce qui équivaudrait, toujours si l'on en croit Thomas, à la non utilisation de ce que l'on nomme évasivement l'idéologie, les doctrines, les clichés, les non-sens, les lieux communs, la tradition ou le bon sens.
Bon sens paysan ajouterait-il sûrement.

– Tout cela alimenté par nos maîtres anciens, dont on oublie avec grande légèreté
et une foi  ne déplaçant pas le moindre monticule, qu'ils furent comme nous...
ni plus, ni moins,

Comment pourra-t-il s'en sortir?
Sortir des réactions automatiques dictées par une bienséance de façade derrière laquelle, chacun, sans se soucier de se masquer pourrait faire, en toute égalité, ce que bon lui semble.
Nous ne le savons pas encore, "mystère et boule de gomme", mais un indice nous est fourni par le passé de Thomas qui, à de nombreuses reprises, dans ses écrits et ses conférences,
a fait allusion à Gaston Leroux et de son célèbre
"bon bout de la raison". Autant vous le dire tout-de-suite,
si vous ne l'avez pas encore compris, Thomas est au moins aussi recherché,  qu'il est en recherche...
Et ce par des amis qu' à certains moments il préférerait ne pas avoir et ce parce qu'il est pénible de constater que dans le n'importe quoi, tout devient possible....
Ce qui, ce n'est pas le moindre des paradoxes, qui pourrait presque être qualifié de quantique, finalement lui plaît assez. Même si cette plaisance, il s'en doute, ressemble à s'y méprendre à cette corruption qui lui fait horreur et qui l'amène sans cesse à cette perpétuelle bataille et à la question :
La vie a-t-elle un sens?


 
 Les ânes marchent sans presser le pas
et les étoiles chantent doucement
au-dessus de la route qui s’efface.


Un organisme volant que je prenais pour une luciole s'en vint à se poser à mes pieds.
À l'instant où il se posa et disparut...

"La Grande Niche"
ou les tribulations grotesques d'un curieux dans un monde
où l’adage se vérifie, c’est dans les pires endroits et envers que se cachent les véritables trésors.


– Vous êtes parmi les seuls à l’entendre ! Que vos oreilles s’ouvrent et se ferment. Que vos lèvres bougent et se murent. Que vos gorges engloutissent à jamais ce secret : inlassablement, la mer convoie des histoires vers une gueule béante. Un jour viendra ou d’autres pèlerins fous ou perdus se faufileront sous les embruns et sur les couteaux de pierre pour se mesurer à la mer et écouter les légendes des temps anciens résonnant au plus profond de la caverne, toujours prête à s’enflammer du moindre désir des hommes.

Petit rappel

Thomas est un être étrange et travailleur de l'ombre, un homme qui se croit libre, tout droit sorti d'une imaginaire contrée, et qui visite un pays des plus étranges dont la principale capacité est de perdre celui qui ose s'y promener. Il est à la recherche d'une espèce en voie d'évolution qui, il en est sûr, pourrait contribuer à ce qu'il croit être le progrès de l'Humanité. L'histoire ne se raconte qu'après qu'elle ait eu lieu, c'est pourquoi elle se raconte au passé et chacun sait comment la mémoire se joue de celui qui en joue... Pour cela un seul remède: la marche, dit Thomas à ceux qui l'entendent. Elle aère l'esprit, règle le souffle, révèle les limites du corps et accessoirement, permet le dialogue avec la gent canine tout comme elle assure la multiplicité des points de vue et des discours.

– Nous sommes, ma chienne et moi, comme deux fleuves qui se croisent sans s’abolir, allant du Même à l’Autre et inversement... disent-ils en souriant.
 
Aujourd'hui il fait une légère pose dans son récit et dans sa recherche de soi-disant mystérieux rituels venus du fonds des temps dont il aime collectionner les artefacts.


Le temps passe et les traces qu'il fait semblant de laisser donnent libre cours à l'imagination florissante de l'être humain. Il nous raconte au plus près, comme disent les marins, ce que lui a raconté sa chienne Seraÿna hier au matin. Cela s'est passé lors de la promenade matinale et journalière. Enfin à l'abri des luttes d'influences et de pouvoir contre lesquelles, dans et hors de lui, il ne ne peut malheureusement rien.

– Cher Maître, toi qui sans cesse est à l'affut, fais donc une pause dans l'imbroglio toujours renaissant de tes cogitations, ouvre grand tes oreilles et ton cœur afin de recevoir dans les meilleures dispositions le récit que moi Seraÿna, j'ai reçu d'Aïana, ma sœur.
Un jour récent qu'elle gravissait la montagne, elle espérait qu'enfin arrivée au sommet elle aperçoive la rivière qu'elle allait pouvoir suivre afin d'aboutir, à son embouchure, aux abords de la grand ville où se situait la grande niche.

La ville se déployait devant ses yeux, difficile de s'y orienter. Les animaux de son espèce étaient dotés d'un flair exceptionnel qui leur permettait, dans la moindre jungle urbaine, de circuler sans efforts et d'arriver à bon port sans encombres.

Dans la mémoire des canidés, la grande niche était évoquée à mots couverts, seuls les initiés pouvaient espérer y être agréés. Au loin, se dessinait la façade du bâtiment, objet de son périple. Accélérant le pas, elle gravit les escaliers qui menaient à la Grande Porte, derrière laquelle était censé se trouver le siège d'une puissance spirituelle et temporelle inégalable.

Épuisée, elle s'assit en attendant l'ouverture du lieu dont elle espérait tant. Hélas, rien ne se passa et les portes demeurèrent irrémédiablement closes. Pensant que logiquement il était l'heure de la pâtée elle décida d'attendre calmement afin de ne pas perturber la digestion des membres de la Grande Niche.



Soudain, elle tressaillît. Un grincement lui fit soulever l'oreille. La porte s'ouvrit. Un immense bipède, concierge du Grand-Œuvre au passé redoutable, se tenait devant elle, mais son regard se portait au loin. Il ne semblait pas la voir. Elle leva son museau vers lui et émit un délicat aboiement. Le bipède, en léger déséquilibre, sembla surpris et baissa les yeux vers elle. Que souhaitez-vous, lui demanda-t'il avec une certaine hauteur ?

Aïana, avec patience et politesse, déclina son pédigrée ainsi que les noms de son banc et arrière banc. L'air pantois et ébaffé du bipède ne l'intimidant guère, elle poursuivit en affirmant être porteuse d'un message à remettre au Grand Canin, de toute urgence.



Impossible fit l'homme, votre espèce n'est pas agréée en ces lieux !

Aïana lui rétorqua que ce n'était pas grave et qu'elle s'en allait quérir Meredith, la cousine de sa maîtresse. Lorsque Meredith gravit les marches accompagnée de la chienne, elle se tint devant la grande porte et attendit en vain. Excédée, elle finit par donner un coup de pieds dans l'immense porte de bois qui s'ouvrit immédiatement. Face de Poulpe, ulcéré hurla :
– Quelle est cette espèce de sous-produit de la gent humaine qui ose se présenter céans ?

Meredith et Aïana le toisèrent, ignorant ces propos incongrus.
– Nous avons un pli urgent à remettre en mains propres au Grand Canin.
– Impossible, rétorqua Face de Poulpe, seuls les représentants de la vérité sont admis en ces lieux.
– Mais nous en sommes, répliquèrent les visiteuses.
– C'est hors de question, rugit Face de Poulpe.

– A quelle vérité faites-vous allusion?

Estomaqué par l'outrecuidance de la question, Face de Poulpe s'emporta et énumérant pèle-mêle des concepts surannés réussit soudain à aligner de hautes idées de liberté et d'égalité tout en brandissant des gardes-fous barbelés afin de stipuler que la gent féminine n'était en aucun cas éligible à ce débat.

Aïana et Meredith, sans même se concerter extirpèrent de leur besace la collection intégrale des textes nationaux et internationaux en la matière et les jetèrent à ses pieds.

Il trébucha et elles en profitèrent pour se glisser dans le bâtiment à la recherche du Grand Canin.




Sur un trône, un chien gris et usé par les ans siégeait. Sans lui laisser le temps de les invectiver, elles exigèrent l'application immédiate et sans réserves de tous les textes consacrés à l'égalité.

Le Grand Canin soupira, versa quelques larmes et avoua que ce qu'il redoutait était arrivé, la Grande Niche allait devoir se conformer à l'ordre mondial...



 Ainsi fut fait en l'an de grâce 2016



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