dimanche 30 avril 2017

Dans l'eau d'un étang

... Les livres adressés au vulgaire doivent être suffisamment intelligibles s'ils sont lus comme le vulgaire a coutume de lire, autrement dit, leur substance doit se dévoiler à une lecture très inattentive et négligente. En d'autres termes, dans les ouvrages vulgaires écrits à des fins d'instruction, l'enseignement le plus fondamental doit être écrit en grosses lettres à chaque page, ou il doit être l'enseignement le plus clair qui soit, mais il n'en est pas de même pour les livres philosophiques. Spinoza soutenait que l'on peut parfaitement comprendre des livres intelligibles sans que le lecteur sache à qui ils sont adressés. En soulignant le fait que le Traité est adressé à un petit nombre d'hommes, il nous donne la première clé pour la difficulté spécifique de l'ouvrage. Il dit que l'ouvrage est spécialement destiné à ceux qui « pratiqueraient la philosophie plus librement si une unique chose ne s'y opposait, savoir leur opinion que la raison doit être la servante de la théologie ».
Ceux qui pensent que la raison ou la philosophie ou la science doivent être au service de la théologie, Spinoza les caractérise comme des sceptiques, ou comme des hommes qui refusent la certitude de la raison, et le vrai philosophe ne peut pas être un sceptique ".


Léo Strauss
La persécution et l'art d'écrire 




– Racontez-moi ce qui vous vient à l'esprit, cher Daemon.

Depuis que le doute s'est installé dans l'esprit de Daemon et malgré l'éclairage donné par l'Homme à la pipe, pour lui les temps se mélangent. Il ne sait plus quelle forme prendre ni à quel saint se vouer. Il laisse à chacun le soin de le reconnaître et se met à raconter:

"Dans l'eau noir d'un étang, quelques rides circulaires s'éloignent de ce qui pourrait être le centre d'un monde englouti ou son contraire un monde qui serait émergent. Au premier plan quelques taches floues distraient le regard. Au centre de celui-ci, se déplaçant mais demeurant au cœur de l'image, un animal  nage que l'on ne reconnait point ce pourrait être la tête d'un serpent, un crocodile, un alligator ou un castor. C'est un castor. Au premier plan les feuilles d'un arbre dont on ne voit pas le tronc. Le film est brusquement interrompu et dans la fumée de sa cigarette apparait le visage d'un homme assis dans son atelier. Plantés dans des pots, divers pinceaux suggèrent une possible activité artistique. Les volutes de fumée animent l'immobilité de la lecture. Les premiers mots fusent qui nous mettent sur la voie. La voix n'est pas celle de l'artiste mais celle du récitant. Elle parle de l'auteur encore muet que l'on peut voir. On comprend alors qu'il ne lit plus et on s'attend à quelque chose. Un événement. Il se tourne vers nous, écrase sa cigarette et se lève. Non, il se rassied de manière à se mettre bien en face de la caméra. La cigarette à demi éteinte laisse planer une sorte de doute et l'homme rallume une autre cigarette. Nous comprenons que l'espace et le temps sont suggérés par le mouvement de ces volutes. Le commentateur enfin pose une question plus ou moins directement à l'auteur. On voit sur l'écran la couverture du livre, puis on revient sur le plan élargi dans lequel l'homme, l'écrivain sans doute, s'est installé. Il attend. Un peu contraint, un peu impatient, un peu perdu face à la mise en scène dont il est le centre. Ou du moins le devrait. Il écoute, l'air perplexe, le commentateur réciter son commentaire dont il ne sait manifestement pas quoi faire et pour se donner une contenance il se saisit de son paquet de cigarettes et en allume encore une. Le discours peut commencer. Répondant à la question concernant le titre de l'ouvrage il explique en insistant sur la notion d'incertitude et l'on se met à penser avec orgueil que l'on pourrait renommer le livre qui passerait du classique: Le plaisir de la lecture" à "L’incertitude du plaisir"."



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