vendredi 28 avril 2017

"Par la magie des mots"

« Le maximum, en effet, auquel ne s’oppose pas le Minimum, est nécessairement la mesure la plus adéquate de toutes choses, ni trop grande parce que Minimum, ni trop petite parce que Maximum. Or tout ce qui est mesurable tombe entre le maximum et le minimum. Donc, l’essence infinie est la mesure la plus précise et la plus adéquate de toutes les essences. »

Nicolas de Cues, De la docte ignorance

De vieilles questions remontent à la surface, lesquelles étaient pourtant déjà discutées dès l’Antiquité : comment pouvons-nous connaître ce qui est inconnaissable? Comment pouvons-nous parler de ce qui est ineffable ?
L’homme à la pipe et Daemon se sont, pour quelques instants, perdus littéralement dans leurs mémoires respectives. Cependant, si l’on procède avec attention, il est possible de voir que leurs mondes, de plusieurs manières se croisent et peut-être plus encore.





Petite à l'attention du lecteur*:

L'homme à la pipe parle avec Daemon. Si l'on s'en tient à la nature du daemon, c'est une sorte d'esprit. Il est invisible...



Dès le moment où Daemon parle, il apparait "par la magie des mots". Chaque mot est un germe infini, sans cesse renaissant qui cherche la lumière.



La forme de Daemon dépend du nom qui va lui être attribué... ou qu'il s'attribue... L'Homme à la pipe voit ce que les mots de Daemon lui donnent à voir.



Mais il arrive que les mots des uns prennent la place des autres...
L'observateur attentif verra que, dans l'image que suscite Daemon, un petite part se matérialise dans la main de l'Homme à la pipe. Est-ce la réalité... ou une réalité... qui se manifesterait dans deux mondes différents: le monde de Daemon et le monde de l'Homme à la pipe. Ce qui voudrait dire qu'une part de ces deux mondes est un monde commun...


– Comment voulez-vous parler de ce que vous ne pouvez connaître?
– … ou de ce qui serait ineffable…
– Je vois que, quand vous ne vous perdez point dans vos diverses apparences, « au minimum » vous progressez…
– « Au maximum », autant pour vous, cher « Monsieur à la pipe ».
– Alors, saurons-nous aujourd’hui, manier de manière adéquate ce langage qui semble ne vouloir qu’une chose: nous échapper.
– Ce serait alors une quête de liberté assez semblable à la nôtre…
– Mmmmm… c’est bien parti. Il nous semble acquis que le langage soit, au-delà des difficultés de l’entreprise, soumis à nos étranges distorsions. Peu semble lui importer que nous fassions selon nos désirs… Mais, et cela reste le plus troublant, il peut sans aucun regret dire une chose ou son contraire sans avoir l’air d’en souffrir. Ce que je me… nous demande c’est: pourrions-nous faire pareil?
– Le risque est grand que nous soyons déjà sorti du sujet…
– Vous avez raison. Reprenons. Il me semble qu’il y a un ou deux jours à peine, je vous disais combien votre nom était à l’origine de ce que vous seriez…
– …ou le contraire: combien ce que je suis: mon essence, en quelque sorte, serait à l’origine de mon nom…
– Vous progressez vraiment, cher Damon. Savez-vous ce que c’est qu’un daemon?
– D’une certaine manière je sais ce que je suis sans savoir vraiment le dire… quand à être ce que… enfin, si j’étais cet être bizarre qui correspond à ce que les grecs...
– Ce que les grecs… continuez, je vous prie.
– Croyez-vous vraiment que le nom que je porte agisse sur moi d’une telle manière que je sois devenu ce qui me nomme?
– Ou alors, vous l’avez dit vous-même, vous auriez été nommé par le fait de l’être…
– Ce n’est pas la même chose du tout!
– Je vous l’accorde. Mais, « toute inégalité est composée d’égalité et d’un excédent ». C’est peut-être de cet excédent qu’il faudrait s’approcher.


Après une courte pause, durant laquelle il suce goulûment sa pipe, admire, l’œil dans le vague, se disperser les volute de fumée en continuelles variations, l'Homme reprend:

– Alors approchons-nous, mais lentement. Comblons peu à peu ces espaces infinis qui prennent si grande place dans nos conversations. Je vous disais il y a peu qu’il serait fort possible, cher Damon, que vous ne soyez guère visible autrement que par les mots que vous employez…


Damon, après avoir été choqué par ce qu’il commençait à entendre commence à s’habituer à l’idée qu’essaie, « tant bien que mal », de lui faire découvrir l’Homme à la pipe.


– Je ne serais donc que pur esprit!

Éberlué, l’Homme à la pipe n’en revient pas et ne dit rien. Il essaie de faire refluer ce qui, il ne le sait que trop, en la circonstance ne devrait pas être dit… Il est un temps pour tout.

Le choc doit être intense pour cet être qui était persuadé d’être incarné… se dit-il dans le secret de son âme.


* Pour faire suite à la demande de l'un d'entre eux...


 

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