samedi 27 décembre 2014

Territoires du sacré et du profane


– Mon cher Justin, vous êtes bien tardif aujourd'hui.
je vous attendais avec impatience.
figurez-vous qu'il traîne autour de nous quelques rumeurs
dont je vous ferai part tout-à-l'heure.
Auparavant, dites-moi à quel moment,
selon vous, qui êtes, à l'image de votre maître si savant,
le sacré et le profane se sont-ils séparés?

Et, si je puis ajouter une petite question qui, à mon sens, aurait une certaine correspondance avec la première, le langage des hommes et celui des perroquets sont-ils, dès l'origine, deux modalités différentes?
– Plus que des modalités, ce sont des territoires différents.
– Vous voulez dire que la façon dont nous occupons et défendons nos territoires seraient du même ordre ?
– Il se pourrait.
– Mais, il me semble pourtant...
– Que vous semble-t'il ?
– Il me semble, ou plutôt, il ne me semble pas que...
– Pardonnez-moi quelques instants, on m'appelle. Je reviendrai tout-à-l'heure.


– Voilà, mon cher Auguste, pardonnez-moi cette interruption. Nous parlions du sacré et du profane. Mon maître m'en a longuement parlé... mais je ne sais si je puis vous le confier ! en tous cas, je vais tenter de respecter, si ce n'est à la lettre, du moins dans l'esprit ce qu'il m'a appris et qui appartient, non pas à une minorité de perroquets choisis, mais à celui qui sait entendre. M'entendez-vous ?
– Je vous entend, mais je vous avoue que le ton de votre discours m’inquiète un peu... Il me semble que vous voilà d'un coup bien docte!
Le ton monte. Les deux oiseaux vont-ils se dire, à la manière des humains, ce qu'il est convenu d'appeler des noms d'oiseaux, ce qui, en la circonstance ne serait pas surprenant.
Justin, prenant son rôle très au sérieux, pense et se demande en silence si le niveau d'Auguste est suffisant, non pour entendre mais pour comprendre...
Cela n'est pas sans conséquence.
– Cher Justin, je partage avec mon maître certaines facultés... dont celle, il me semble, d'entendre ce qui ne se prononce qu'à "voix basse". Il me semble selon ce que j’interprète, dans la mesure de mes faibles moyens, que vous abusez d'un savoir qui n'est pas le vôtre. Quand à l'acte de répéter, je vous suis probablement d'égale valeur... Croyez-vous qu'il soit nécessaire, à l'exemple de maîtres tant regrettés, d'en venir aux becs, plumes et griffonnages ?
– Auguste, mon cher, il est un point sur lequel vous vous trompez!
– Dites-moi lequel, avec plaisir...
– Nos maîtres ne se fâchaient pas.
– Et que faisaient-ils alors?
– Ils jouaient...
– Vous voulez rire ?

– Non. Vous ne les connaissez pas assez. J'ai eu la chance de les voir alors qu'ils ne se doutaient pas de ma présence...
– Revenez à ma question, quel est le lien avec les territoires du sacré et les territoires du profane?
– Je vais vous surprendre.
– Surprenez-moi.
– Ils n'existent pas...
– Vous vous moquez !
– Non. Plus exactement, ils n'existent que lorsqu'on les fabriquent.
– Diriez-vous que c'est une invention?
– C'est cela même.
– Vous blasphémez... il me semble...
– Loin de là. Suivez-moi, je vous prie.
– Où allons-nous?
– Il est l'heure. Ils arrivent. Dans quelques instants ils vont construire un nouveau chapiteau...