vendredi 20 février 2015

Une question délicate

– Dites moi, cher Auguste,
depuis le temps que je vous connais,
puis-je vous poser une question délicate?
– Si vous la posez de délicate façon.
– Comment définiriez-vous l'amour
que vous portez à votre maître?

– C'est une question bien difficile. Vous aviez raison de la poser sous l'angle de la délicatesse... Rien n'est plus difficile que de rendre compte de ce qui vous constitue ou de ce qui vous a constitué.
– Je ne voudrais pas avoir l'air d'enfoncer une porte ouverte, mais il me semble, enfin... je crois déceler l'emploi d'une forme qui indique le passé!
– C'est effectivement le cas... même si cela n’empêche rien.
– Rien... de quoi?
– Tant pis, je me lance. Je ne vous ferais point l'affront de vous étaler les différences entre amour, éros, philia et agapè.  Il se trouve qu'en effet il arrive un moment où nous devrions prendre de la distance vis-à-vis de nos maîtres.
– Et voler de nos propres ailes?
– C'est cela.
– Mais alors que faites-vous du fait que nos rémiges, en l'état, c'est-à-dire soigneusement rognées, presque mutilées, ne sont guère capable de nous porte plus loin que le moindre de nos pas, si maladroits soient-ils?
– Détrompez-vous! Même ainsi nous pourrions voler. Maladroitement, dangereusement, certes, mais nous pourrions. Vous venez de mettre la griffe sur ce qui ne marche pas! C'est précisément de cela qu'il est question. Il arrive ce moment où profitant des avantages que la nature nous a octroyé nous devrions être capable d'apporter à notre évolution ce que précisément ils ne sont pas capable par défaut de nature.
– Ou sans l'aide de l'artifice matériel !
– C'est cela même. Si nous devrions être capable de voler ce n'est pas simplement par envie ou mimétisme. C'est avant tout notre vocation, si j'ose dire. Et tout cela coexiste avec l'aspiration légitime à la liberté que nous partageons avec eux. N'oubliez pas qu'avant tout et malgré le soin qu'ils nous portent nous en sommes les prisonniers. Sils croient que nous nous attachons à eux par le fait d'être vulnérable et d'être nourri-logé, ils se trompent. Et je ne voudrais pas qu'il subsiste la moindre ambiguïté, je parle de nourriture de l'esprit tout autant que celle du ventre...
Quant à leur désintéressement, à leur attachement et à leur fidélité, il me semble, de façon libre et spontanée, qu'il y aurait beaucoup à dire ou à faire.
Saviez-vous, sans compter cette chouette que nous apercevons de manière fugitive, que nous ne sommes plus les seuls de notre espèce sur cette île?
– C'est vrai que vous avez changé...
– Pas tant que cela, en vérité...
– Alors, que va-t'il se passer? Allez-vous renoncer à l'affection profonde qu'ils nous portent et aux soins divers dont ils nous gratifient. Sans compter les repas... et tout ce que nous pourrions encore apprendre d'eux?

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