dimanche 1 février 2015

Un morceau de temps "hors du temps"


Comme disait Desproges :
une pomme par jour éloigne le médecin,
mais il faut bien viser...

– Chers amis perroquets, si j'en crois votre solitude et votre bon accueil, que le Très Haut nous garde, c'est le bordel chez nos maîtres...
– Vous n'avez pas honte d'employer un tel langage!
– Ce n'est pas le mien, c'est le leur... et si vous regardez le décors qui là s'offre à vos yeux, le moindre doute, à son image, s’effondrerait sur lui-même...
– Je croyais que lentement vous vous détachiez de cette simple imitation. Serait-il possible que je me sois trompé sur votre compte.
– Vous n'êtes pas le seul...
– Que voulez-vous dire?
- Que je me suis trompé, moi aussi.
– À quel sujet?
– Au sujet de mon maître et de sa famille.
– Expliquez-moi, je vous prie... et puis vous ne m'aviez jamais dit qu'il avait une famille.
– Il m'avait demandé de garder le secret, mais en même temps, et conformément au devoirs qu'il m'a imposé, je me dois de tout répéter par devoir de perrrroquet... Regardez au loin sur ce tout petit continent qui dérive vers nous.
– On dirait une sorte de morceau de temps "hors du temps". Dans un ailleurs où nul ne peut tourner le regard ou tendre l'oreille


"… la pensée retirée dans un monastère
et la pensée assignée, non à la tolérance,
mais à une maison de tolérance
représentent deux figures opposées
de l’enfermement. "

– Vous ne croyez pas si bien dire. Regardez ces trois hommes qui font suite à celui qui a déjà débarqué hier.
– Qui sont-ils?
– Ils se perdent dans la grisaille, mais on les appelle les trois frères lumineux.
– Pourquoi cela?
– Parce que ce sont des émissaire qui sont chargés de faire la lumière... toute la lumière possible!
– Comment cela? Ce que vous dites est étrange. Vous employez des tournures que je ne connais pas.
– Je ne puis employer que celles que je connais par imitation. C'est ce qu'ils m'ont dit.
– Vous les connaissez?
– Ce sont plus que des amis, m'a dit mon maître.
– Quelle est cette charge qu'ils portent dans leurs bras et qu'ils chérissent comme d'infinis trésors ? Et sur quoi sont-ils chargés de faire la lumière.
– Vous seriez bien surpris si je vous disais que nous sommes un peu, un tout petit peu, impliqué dans leur mission. Par la bande, si je puis ou ose dire... Mais il semble qu'une urgence "apocalyptique" se soit insinuée, au mépris de toutes leurs règles, sur le devant de la scène. Ils sont chargés, selon eux, par le très Haut, de faire régner la lumière "dans le cœur des hommes".
– Vaste programme ! N'est-ce pas un peu ambitieux ?
– Ce n'est pas à moi qu'il faut le demander... mais écoutez plutôt. Cette fois c'est un cas un peu particulier dont ils ont à s'occuper. Voilà les faits tels qu'ils m'ont été présentés:
Il arrive que l'ordre soit menacé. En secret et en Haut Lieu, il a été décrété, sous la houlette du Très-Haut, puissamment approuvé par la majorité, que rien ne pouvait être plus grave. Le continent sur lequel ils vivent, déjà fortement morcelé, se fissure.
– Quel en est la cause?
– C'est justement ce sur quoi travaille ces émissaires. Ils ont donc beaucoup réfléchi, surtout beaucoup parlé... et la cause est apparue!
C'est, de leur point de vue, une grande évidence. Si grande que, toutes affaires cessantes, il faille sans ciller faire taire la rumeur et que l'insolence à sa juste mesure soit châtiée. L'insolence, telle la cause de tous les mots.
– C'est pour cela qu'ils portent tous le bâton?
– Que nenni, c'est officiellement pour se défendre contre les dangers de la nature, les vents mauvais, les feux qui s'allument, la persécution qu'ils perçoivent au loin et dont il craignent les effets et par-dessus tout...
– ... quoi?
– Le désordre... "fieffé coquin" ou "bouffon" pour parler comme aujourd'hui...
– Auguste, je vous en prie, jamais votre maître, pas plus que le mien n'aurait parlé de telle misérable façon!
– Pour cette fois, vous avez raison...
– Revenez-en à cette raison qui, pour l'instant, nous échappe!
– Elle est fort simple et ne nous échappe pas le moins des mondes.
– On ne dirait pas...
– Je vais vous faire un dessin...


"Il reste à examiner comment un prince doit en user et se conduire,
soit envers ses sujets, soit envers ses amis.
Tant d'écrivains en ont parlé,
que peut-être on me taxera de présomption
si j'en parle encore ;
d'autant plus qu'en traitant cette matière
je vais m'écarter de la route commune.
Mais, dans le dessein que j'ai d'écrire des choses utile
 pour celui qui me lira, il m'a paru qu'il valait mieux
m'arrêter à la réalité des choses
que de me livrer à de vaines spéculations."

Le Prince
Nicolas Machiavel

 – Voyez-vous, notre monde semble régi par une harmonieuse danse céleste: La danse des étoiles...
– Vous vous moquez? Ou vous avez perdu l'esprit!
– Ni l'un, ni l'autre. Je vous parle de "manière symbolique".
– Qu’est-cela ?
– L'essence de tous langages, mais peu importe. Le fait est qu'une des nouvelles étoiles, qui sont régulièrement mises sur orbite pour pallier au vieillissent relatif et remarquable de l'univers, s'est par elle-même mise sur une orbite qui ne serait pas la sienne. Et cela, sans autorisation... Cela ne serait rien si un autre fait, plus grave, ne s'était produit:
Elle parle et fait  parler d'elle en même temps qu'elle a rompu, au mépris de la tradition, le silence si cher à l'oreille de nos maîtres... Cela ne serait rien si, en plus de parler, l'intolérable est atteint, elle ne s'était mise à émettre certaines critiques mettant en cause ceux-là même qui se disent aptes à la juger...
– On peut les comprendre...
– Pourquoi cela?
– Ils sont si bavards...
– Et alors...
– Les mots font de l'ombre aux mots... et ces futiles variations donnent source à la plus parfaite des illusions...
– Si vous continuez, vous aussi, vous le verrez un jour, aurez affaire à cette lumière...
– Que dit-on de cette étoile? Et qu'en est-il du fond de ces critiques qu'elles a formulé ?
– Peu importe que telle l'hirondelle elle ait choisi un chemin sur lequel, selon leurs dires, elle gazouille, tridule, trisse, truissote, crossette... ce faisant elle trace des figures avec mépris et j'en oublie... mais la forme! Ah! La forme... La forme est tout!
– Comment cela? N'y a-t-il pas une différence essentielle entre la forme et le fond?
– Non, selon mon maître, tout est dans la forme! Sans la forme point de fond... il serait parfaitement invisible...
Au royaume du silence la rupture est consommée 
– Alors, comme cela, cette étoile n'obéit point aux lois immuables de notre univers?
– Non. En tous cas, c'est ce qu'ils disent.
– Qui dit cela?
– "On" le dit.
– Qui est "on"?
– Nous tous sommes "on". Nous tous qui parlons. Je suis "on". Vous êtes "on". Tout le monde est "on"...
– Bon... on revient à nos étoiles...


– Il faut bien admettre que l'imprévisibilité des trajectoires est source de bien des soucis. Par exemple vous n'imaginez pas combien de fois je me suis trouvé en danger lorsque, par curiosité, vers l'île de mon maître, je me suis dirigé.
– C'est tout de même un danger bien relatif... au vu de ce que vous m'avez raconté. Ne sommes nous point enchaîné à notre piquet ? Les voyages que vous faites ne sont-ils pas tout aussi symboliques que les étoiles que vous nous mettez en vue ?


– Eh, mais arrrrrêtez ! Quelle étoile vous pique?
– Jeune insolent, parasites malins ou bonnes gens qui m'écoutez, apprenez que si je n'ai point bâton, je sais de mon bec ou de ma plume, de taille et d'estoc, me rendre maître...
– ... et vous, prenez garde qu'entre nous le fil ne se rompe!
Chacun se rend compte de l'indignité du débat et, lentement reprend sa trajectoire...
– La trajectoire d'une étoile est chose sérieuse. De cette trajectoire dépend sa luminosité et celle de toutes les autres...
– Si je comprends bien, sa verdeur relative ferait qu'elle se voit au détriment de la brillance de toutes les autres... et pourtant il me semble que face à l'immensité de l'univers ce n'est point là quelque chose d'essentiel, surtout aux yeux  de celui qui est sans ciel... si je puis me permettre ce petit jeu...
– Écoutez le conseil d'un sage et grave perroquet: prenez garde que le bâton des trois émissaires ne se rapportent à votre personne! Vos plumes alertes feront bientôt un bien joli plumeau!

Comico et tragico, telle est l'essence de la vie.
Il faut que cela reste un secret...

–Que font les trois lumineux?
– Ils font tout comme moi je dis les faits. Ils redoublent de vigilance et longuement ils rédigent les bréviaires intemporelles. Au rythme incessant des vagues qui sans relâche, viennent s'échouer, repartent et reviennent, ils lisent, relisent, corrigent, promulguent et disent "la bonne, nouvelle, et ancestrale loi".


suite demain


1 commentaire:

Francis a dit…

Torquemada faisait déjà de même... car il avait LA lumière ! Et c'était aussi pour sauver les âmes égarées...