mardi 27 décembre 2016

En plein midi

"Ceux qui procèdent de Pythagore disent
qu'il y a hors du monde un vide vers lequel
et duquel le monde respire."
 (D'après Plutarque)
 Dans beaucoup de contextes apparaissent des phénomènes qui sont difficiles à appréhender. Dans bien des cas, peut-être que la difficulté pourrait être contournée si l'esprit qui les approche agissait de manière concrète et "terre à terre". Encore que cette dernière expression, si elle n'est pas vraiment un phénomène, pourrait être le meilleur des exemples... pour commencer...
Pour certains, la pesanteur du raisonnement égale au moins la pesanteur de notre état mais ne rend compte de rien... si ce n'est de la pesanteur... Ainsi en est-il de la chute de Platon, qui, si l'on se place du côté de la physique est due, de manière très simple, à la "pesanteur". Sans vouloir être pédant, Platon, notre héros, estime, et l'avis est partagé par d'autres que lui, qu'il ne s'agit pas là d'un phénomène simple, mais commun. Tellement commun en ses qualités, et accepté comme tel par le premier ou le dernier venu. Mais il est évident aussi, qu'il est presque toujours incompris, au moins partiellement. Le plus souvent il est accepté par force sans même que l'analyse ne soit tentée! Elle ne servirait à rien. Nul n'échappe à la chute... c'est ainsi... et il ne peut être question d'y échapper. Dans le cas qui nous concerne, le récit que Platon nous fait à postériori (forcément) nous fait croire qu'il s'agit d'une chute vertigineuse. C'est aussi ce qu'il croit "sur le moment"... Bien que... En y réfléchissant bien, la chute est un peu longue... ou tarde à venir, si l'on change la signification du mot.


Platon, ayant momentanément perdu le sens du haut,
tout autant que celui du bas, découvre les rivages fantomatiques
et dangereux de l'ivresse des profondeurs:

– "Ainsi ces créatures impénétrables, bien qu'environnées de cercles d'épouvante et de consternation, s'abandonnaient librement dans le centre à une sollicitude sans crainte, se livrant sereinement à un délicieux badinage. Ainsi, au cœur de l'ouragan atlantique de mon être, à jamais paisible, en mon centre je m'ébats dans un calme muet, et tandis que les graves planètes d'un malheur croissant refermant autour de moi leur course, dans am profondeur et dans ma largeur, je baigne encore dans l'éternelle douceur de la joie."*


Certes, si l'on s'en réfère au récit et aux images qui l'illustre, on pourrait croire que la chute était vertigineuse. Platon lui-même y croyait ou semblait y croire. Mais, en réalité, l'histoire, aussi confuse soit-elle, nous l'a montré: la grande mâchoire s'ouvre et se ferme lentement. Elle est tellement grande que ce que nous pouvons voir ne peut être que parcellaire. Vue de loin, comme nous l'avons vu, elle ressemble à un petit rocher et dès le moment où nous nous rapprochons assez pour voir le minuscule être qui s'y trouve égaré, nous l'avons, comme vous pouvez le voir,  perdu dans sa totalité. Or justement si au début, par le plus grand des hasards, ou par le phénomène mystérieux de la curiosité, sur lequel il faudra bien revenir à un moment ou à un autre, Platon se trouve au sommet du rocher, qui lui, vient à peine d'effleurer la surface jusque là bien tranquille d'un océan illimité. C'est à partir de ce sommet, en plein midi, qu'une faille s'est ouverte, parfaitement verticale, comme si un fil à plomb eut servi à la tracer. Il se trouve aussi que la chute ayant une certaine durée... presque éternelle... la situation à changé. Changements dus, de manière presque imperceptible, aux mouvements incessants des courants agissants au sein de la mer, à son propre mouvement d'ouverture et de fermeture, ou encore, et surtout  aux vertiges d'un être qui visiblement n'est pas encore arrivé à relier ce qui est épars: les diverses facettes de son être. Toujours est-il que la chute de Platon fut freinée par un simple mouvement d'oscillation de la masse rocheuse. La verticale, par le mouvement du balancier, quel qu’en fût la cause s'infléchit dans le temps et comme un toboggan guidant la course folle de l'enfant le freine puis remonte et l'emporte dans un dernier soubresaut...

* Moby Dick, Melville, chapitre LXXXVII

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