samedi 28 juillet 2018

(28) Une lettre


" Parfois le passé, ce pays lointain, entre en résonance dans l'ordre de l'imaginaire avec la vie réelle de l'auteur."
Le Prince de Cochinchine, Jean-François Parot, JC Lattès




Ainsi Don Carotte écrivit-il dans son journal ce qui se passait alors:
 

Le jour qui suivit, par voie d'eau, je reçus une lettre. Elle m’était envoyée par un certain M. Cornuz. Je ne connaissais qu’un vieux bouc bourru nommé ainsi et il m’étonnait que celui-ci fut capable d’écrire une lettre ou quoique ce soit d’autre...  De plus comment avait fait pour me trouver était en soi un mystère.

Cher et estimé Don Carotte

Sans aucun doute nous n'avons guère été amis dans toute cette série de rencontres, toutes plus ou moins fortuites et véridiques en apparence, mais je me dois de vous dire combien je les ai apprécié. Certes je ne puis dire que pour moi ce fut une suite continue de victoires sur la grande scène du théâtre de la vie, mais du point de vue qui est le mien et avec le recul que me donnent les années, je vous suis reconnaissant de "tout" ce que vous avez fait pour moi. J'emploie à dessein ce terme ambigu de "tout", car il est des renversements qui pour bizarre qu'ils paraissent n'en sont pas moins emplis de vérité. Vous devez être surpris. Mais, justement, il est des vérités qui sont bonnes à dire et celles qui vont suivre vont vous combler, j'en suis sûr. Ne croyez pas, je vous prie, que je les considère comme des défaites qui feraient suite  à celles que vous connaissez. Je vous l'ai dit, l'âge aidant, à l'aube de ma propre disparition, plus profonde que la vôtre et surtout définitive, c'est une façon nouvelle d'envisager le monde qui me fait écrire ces quelques lignes et le grand crédit que je porte à votre mémoire n'est point étranger à cette situation. Je ne veux point profiter de l'éclat nouveau, que vous ignorez peut-être et qui éclaire votre nom dans le cercle fermé que vous connaissez et dont vous croyez sans doute avoir été chassé. Non, croyez-le, mon repentir est sincère, Sans dessein de me justifier, je crois qu'il est temps pour moi, comme pour d'autres, de refaire connaissance... ainsi je vous prie de bien vouloir me faire l'honneur d'accepter l'invitation ci-jointe. Je ne sais comment vous appeler et vous joindre, mais, en vertu de nos antiques traditions, je fais entièrement confiance au éléments. Je n'y ajouterai pour toute chose que ces quelques mots de Corneille:

« Tandis que vous vivrez, le sort qui toujours change
Ne vous a point promis un bonheur sans mélange.»
[...] ”

Naturellement je me méfiais de ces termes avantageux et de cette reconnaissance aussi tardive qu'élogieuse qui, selon moi, dissimulaient certainement un piège nouveau...

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