lundi 22 avril 2024

À jamais…

 

« L'anéantissement définitif de l'homme au sens propre doit, cependant, nécessairement impliquer aussi la disparition du langage humain, remplacé par des signaux sonores ou des mimiques comparables au langage des abeilles. Mais dans ce cas, argumente Kojève, ce n'est pas seulement la philosophie, c'est-à-dire l'amour de la sagesse, qui disparaîtrait, mais la possibilité même d'une sagesse en tant que telle.»

Giorgio Agamben, L’ouvert de l’homme et de l’animal, Rivages poche, p.21

 


– À force d’assister au théâtre des mots et inlassablement arpenter un nombre presque infini de variantes possibles du langage et de ses significations, croyez-vous que nous ayons fait un apprentissage suffisant pour obtenir un droit de parler  conséquent et ainsi, peut-être, accéder au dire..?
– On peut se demander si cette question n’en dissimule point une autre…
– Il y a, à l’évidence, dans votre attitude, et surtout dans le ton, une certaine désinvolture qui ne m’est point familière…
– … et il y a chez vous une tendance certaine à ne point accepter notre condition…
– Que sous-entendez-vous?
– Je ne sous-entends rien… j’entends que vous souhaitez être ce que vous n’êtes point…
– …et que, je suppose, je… nous serons à jamais!
– À jamais… c’est beaucoup dire…


Tancrède
 
Un jour où je me promenais sur les quais, j'observais un petit attroupement devant un minuscule théâtre de rue autour duquel se produisaient deux femmes. Il ne se passa guère longtemps jusqu'à ce que je distingue Julius au dernier rang des spectateurs. Il avait la tête clairement tournée vers nous et semblait complètement absorbé par ce qui se passait devant lui. Il émanait de lui une sorte de calme et de bien-être assez communicatif. Il me semblait qu'à ce moment-là il n'était guère différent, du point de vue des sens, des autres spectateurs. Bien entendu il ne pouvait être sensible à la beauté extérieure des deux femmes présentes sur la scène, mais il semblait tout aussi fasciné que les autres. Lorsque, pour tester ses capacités, je décidais de changer de place en entraînant Rosa dans un mouvement dansant qui nous emmena de l'autre côté de notre petit théâtre ambulant, il tourna la tête tout autant que n'importe qui mais bien plus rapidement. Rosa était l'une de ces deux femmes. Je la connaissais depuis longtemps mais je l'avais perdu de vue depuis les évènements. C'est alors qu'une question me vint à l'esprit: L'histoire, en soi, n'explique pas tout... Se pourrait-il que le mutisme de Julius et sa surdité soient, en quelque sorte, le résultat d'une sorte de dysfonctionnement provisoire plus que le résultat ou l'objet d'une absence irrémédiable?


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