mercredi 17 avril 2024

Émotion

 
« L'émotion est généralement associée à la présence immédiate, à l'absence de distance: on est ému parce qu'immédiatement présent aux choses, parce qu'incapable d'instaurer la distance nécessaire à tout jugement. Est-il contradictoire de supposer une émotion de la distance? Une fois supposée l'émotion réflexive, autrement dit l'émotion de la pensée, on ne contredit en rien l'affirmation d'une présence aux choses. En effet, l'émotion réflexive est présente à la pensée, elle est en contact direct avec elle.»

Cynthia Fleury, Métaphysique de l’imagination, folio essais, p. 543




 
– Je suis, je vous l’avoue, un peu ému…
– Quel en serait la cause?
– Il me semble que Julius, un peu comme l’Enfant Lune, bien qu’ils ne nous ressemblent pas… est… un peu comme nous…
– Il me semble que là n’est pas le seul argument possible et peut être faut-il considérer le fait que nous ayons le même maître…
–… et créateur…
– Vous avez raison…,Ainsi pourrions-nous dire que nous sommes frères…
– C’est quand même un peu étrange… que de partager la même origine… ne trouvez-vous point?
– C’est comme vous dites!
– C’est pourquoi tout-a-l’heure je vous disais ressentir une légère émotion…
– Continuez donc votre récit je vous prie!
 
Beaucoup de temps est passé. Bien des années après les événements, le juge Tancrède est devenu professeur.
Il prend des notes pour préparer son cours:
 Les quelques mots sur l'origine du texte que nous allons, ces prochains jours, soumettre à votre digne attention vous en feront, nous l'espérons, comprendre l'intention. Le texte dont nous parlons n'a pas été écrit exclusivement dans le but d'être publié. Il fait suite à ma rencontre avec un personnage étrange répondant, si j'ose dire, au nom de Julius.
En écrivant cet essai, je voulais savoir dans quelle mesure notre conception de la vie était compatible avec les points de vue de Julius sur le temps…s'il est possible de dire cela à propos d'un aveugle... L'admiration que j'avais pour Julius, la conviction qu'il m'apportait non seulement une nouvelle présence physique mais aussi certaines interrogations sur sa ou ses manières de penser. Depuis le jour où j’ai pris conscience de son existence, l’idée que sensations et philosophie seraient des domaines différents s’était enracinée dans mon esprit. Mais il se pourrait, sous un autre angle, qu’ils puissent se compléter…Tout cela m'inspirait le profond désir d'essayer de pénétrer dans le monde, que je pensais obscur, de Julius. Mais cette recherche allait bientôt m'offrir un intérêt plus large. La conception du temps que semblait se faire Julius se manifestait par une expérience si directe et si immédiate qu'il semblait n'avoir aucune idée du caractère passager de ce temps. Il semblait vivre dans un présent qui me semblait, à moi spectateur complètement extérieur, comme quelque chose qui serait à la fois absolument innocent et complètement effrayant tout autant qu'immuable. Sans s'aventurer dans l'hypothèse d'un Temps absolu et primitif, comme abandonné de toutes spéculations intellectuelles, je pensais que la présence au monde de Julius s'harmonisait avec une croyance en un monde idyllique qui lui paraissait très naturelle. Julius devenait pour moi, comme pour tous ceux qui l'approchait, l'être le plus simple du monde. J'écrivis alors cette phrase qui était le point de départ de mon étude:
- Julius devenait ainsi, par son extrême simplicité, le phénomène le plus incompréhensible qui puisse exister.




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