mercredi 24 avril 2024

Au cœur

 « Le grain commence à germer, il perd sa forme de grain: il se perd lui-même, et ce n’est qu’ainsi qu’il peut donner des grains… »

 


 


Tancrède
 
Nous sommes le premier jour du printemps devant le petit théâtre. J’étais parmi les spectateurs et n'étais pas le seul à avoir remarqué la présence de Julius. Sophia, l’une des deux femmes comédiennes du théâtre, qui, pour tous, semblait complètement absorbée par son chant, en réalité, tout en chantant, l'observait tout autant que moi. Autrefois, en tant que juge… je l’avais bien connue… C'est dans la forme particulière de son langage qu'elle me transmit ce qu'elle avait ressenti à ce moment-là. 
– "Si ce mutant Brêche-cousue ne me fente, il ne peut pas me débrutir. Il falloit que par mes mains je m'émoussure de lui."
La simplicité n'était pas la forme en vigueur dans les tournures de Sophia. On peut avec une certaine expérience, qui ne garantit rien, traduire ce qu'elle dit alors par:
– Si ce muet qui se mue sans un regard ne me voit, il ne peut pas ne pas me sentir. Il faudrait que de mes mains je m'assure qu'il a raviné dans mes pensées.
Dès les premières rencontres que j’eus avec elle, l'apparition du langage de Sophia avait été et, jusqu’à aujourd’hui, reste un mystère que la pauvreté de mes mots ne peut pas expliquer en profondeur. Ses tournures, très particulières sont fortement marquées par le surnaturel qui échappe souvent à notre compréhension logique. Comment cette femme avait elle pu entrer en contact avec Julius… n’était pas la dernière des énigmes qui se dressait sur mon chemin… Ce matin-là, je suppose qu'elle a su parler au cœur de Julius plutôt qu'à son cerveau… et, singulièrement, je suppose, par la même occasion, qu’elle me parlait à moi aussi…


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