samedi 20 avril 2024

Inattendu

« C'est par le fait qu'il est en vie que l'animal se distingue de l'inanimé. Mais vivre s'entend de plusieurs façons et nous prétendons que quelque chose vit là où ne se trouve, ne fût-ce qu'une des manifestations suivantes: la pensée, la sensation, le mouvement et le repos selon le lieu, le mouvement selon la nutrition, le dépérissement et la croissance. C'est pour cela que l'on considère que toutes les espèces de végétaux ont également la vie, car visiblement ils ont en eux-mêmes une puissance et un principe qui leur permettent de croître et de dépérir dans des directions contraires. [...] Ce principe peut-être séparé des autres, mais les autres ne peuvent l'être chez les mortels. Et on le voit dans le cas des végétaux, puisque aucune faculté de l'âme ne leur appartient. C'est donc en vertu de ce principe que la vie appartient aux vivants [...] Nous appelons puissance nutritive (threptikon) cette partie de l'âme dont les végétaux mêmes participent.»

Aristote, De anima, (413a, 20 - 413b, 8)
 


– Croyez-vous que Julius soit, en quelque sorte, un prisonnier?
– Pourquoi dites-vous cela?
– Je faisais allusion au fait qu’il ne puisse ni voir ni entendre ou parler… ce qui fait beaucoup…
– Je crois que vous vous méprenez quelque peu. Si les yeux de Julius restent fermés cela ne veut pas dire qu’il ne voit rien… Il se pourrait que les stimuli divers, que nous ressentons aussi mais qui restent dans l’ombre et dont nous ne sommes pas conscients, prennent chez lui la première place, alors que chez nous ils sont occultés…
– Vous voulez dire qu’il imagine!
– Assurément… mais peut-être pas comme vous le croyez! Sans doute, sans trop vous poser de questions, croyez-vous à la réalité de ce que nous disent nos sens… 
– Douteriez-vous de cela?
– Je ne doute pas du ressenti… mais de l’interprétation qui en est fait et qui dépend de l’éducation de celui qui ressent…
– Voilà qui fait beaucoup d’intermédiaires…
– Je ne vous le fais point dire.
– Mais alors, pour être un peu plus concret, comment fait-il pour s’y retrouver?
– La première chose qu’il fait est de ne pas réfléchir… ni même penser…
– Que fait-il alors?
– Il bouge… et se laisse bouger… «Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes.»*
– 

* Rosa Luxembourg



Tancrède se sent comme un étranger dans un environnement que pourtant il connaît comme sa poche…
– Le monde avait changé. Je devais à tout moment m'adapter à l'inattendu qui sans cesse me guettait. Je m'étais, de façon inconsciente mis dans une position similaire à celle de Julius. Dès ce moment, rien ne me fut plus favorable pour le comprendre, bien que Julius, je le saurais plus tard avec certitude, ne concevait pas le monde sous forme de mots. Il faudrait ajouter qu'il ne pouvait le concevoir ainsi, ce qui fut la cause d'une grande perte de temps où je me fourvoyais à chercher selon les modèles de mon propre fonctionnement. Ainsi ce que j'écrivais se lisait comme un élément de mémoire. Mais cette histoire, aussi intéressante qu'elle puisse se révéler à me yeux, était la mienne et non la sienne. Une confusion s'était établie contre laquelle il me fallait lutter en changeant radicalement de point de vue. Pour cela je fis l'effort de me souvenir de ce que nous avait appris notre "Grand Maître de Justice", René Mariolle. L'enseignement de Maître René n'était pas banale du tout. Il utilisait un langage symbolique extrêmement vulgaire et imagé recouvrant une profondeur véritablement abyssale qui ne nous apparaissait que bien longtemps après. Ce fut le cas ce jour là.



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