dimanche 13 septembre 2015

13 septembre (31) ...la langue comme "une"

"Souffrez, s'il vous plaît, monseigneur, que je ne vous flatte point,
et qu'en fidèle historien je raconte nuement les chose comme elles sont."

Vincent Voiture ( Lettres, 1649)


Cher Joachim

Chaque jour qui passe apporte son lot de mystères. J'ai longuement hésité à mettre un pluriel au mot mystère, et finalement, par modestie, je m'y suis résigné même si les mystères pourraient, par définition, être réunis sous une appellation commune... Cela ne vous rappelle rien, Joachim?
Au fond, n'était-ce pas là, toutes proportions gardées, le but que nous nous étions fixés?
N 'était-ce pas cette appellation "commune", comme "un", qui était le moteur de notre jeunesse?
Vous et moi savons ce qui est advenu... Encore que vous ne sachiez pas tout... ni moi non plus...
Encore une fois, et c'est le mystère qui se poursuit, nous ne pourrions connaître mieux ce qui qui s'est réellement passé qu'en mettant ensemble ce que nous savons... Or nous savons que cela n'a pas été possible... et recommencer de la même manière mènera, invariablement(?) au même résultat.
Souvenez-vous, cher Joachim, combien nous pouvions être arrogants sans le savoir... Sans le savoir? Vraiment? Souvenez vous de "notre" créature... Oui, oui. je vous parle de celle qui nous a échappé...
Bien que pendant si longtemps fidèles au pavé mosaïque,  et ignorant superbement les"variables du temps", nous nous sommes presque persuadés du contraire...
Cette créature que nous avions créé de telle façon que la pierre angulaire de son palais résonne comme la claire langue de Molière...
Combien de fois, face au vide et au silence qu'il imaginait rempli d'une nuée de spectateurs subjugués, se donnait-il en spectacle en maniant une langue qu'il croyait sienne et par des gestes qu'il ne faisait que répéter... 
Vous le savez Joachim: le voile du néant met à couvert les passions l'imposteur.

 « De ce que je ne puis composer je puis pour moins en faire le festin.»

- Où êtes-vous manants, galantes en charge de moi ?
Grossiers, discourtois et irrévérencieux malappris !
Quand le bâton se lève il n'y a plus guère de temps à perdre en soumissions sans distinction de taille ou de nombre. Mon ventre crie et passe commande. L'orage, sans doute, menace.
- Prenez garde que de tout cela ne résulte le désagrément d'un vent qui se lève, décime les plaines et ne stimule ardemment les variables du temps.
Je ne veux, que dis-je, je ne peux "sauter par dessus les joies de la terre" avant que d'aller rejoindre celle qui m'attend.
- Le temps presse. Combien se trouvera-t'il d'honnêteté que je n'aie imaginée, si éloignée de cette perfection ?
Aux adeptes du rigorisme doux, auxquels j'appartenais, s’opposent ceux du rigorisme dur dont je souhaiterai partager les bienfaits. Cependant je ne puis que constater pour mon malheur le peu d'autorité que j'ai sur eux.
L'injustice est grande. Mes gens se gaussent de moi et font des gorges chaudes des extraits mutilés et des citations tronquées qu'ils recueillent de ci de là. La parole privée de ses résonances et de son ambiguïté méprise à l'envi la piété et la raison.
Malgré moi et à mes dépends, ils font de moi ce qui m'attriste le plus : un doux rêveur.
Il faut en toute bonne volonté, sans couleurs, sans artifices, sans allégeance corrompue et avec une extrême lucidité que cela change.»

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