samedi 21 septembre 2024

 


« Je vous en prie, pour beaucoup d'entre vous, tout cela peut paraître technique. Cela n'est pas technique. C'est très simple, bien que cela exige un peu de concentration. La plupart d'entre nous sont habitués à des discours politiques où on leur dit ce qu'il faut faire ou ce qu'il faut penser; et il se peut que nous trouvions difficile de poursuivre avec aisance et sans à-coup une pensée de cet ordre; mais comme ceci n'est pas un discours politique, il nous faudra être un peu concentrés.
Je disais que la conscience est un processus d'expérience, d'appellation et d'enregistrement; et pourquoi donnons-nous un nom à une expérience, à un sentiment? Nous lui donnons un nom, soit pour la communiquer à autrui, soit pour la fixer dans la mémoire, ce qui revient à lui donner une continuité. S'il n'y a pas de continuité, alors l'esprit n'est pas, la conscience n'est pas. Je dois donner une continuité à une expérience, autrement la conscience cesse. Donc, je dois lui donner un nom. L'octroi d'un nom à un sentiment, à une expérience, est instantané car l'esprit, qui est le gardien des enregistrements, de la mémoire, met une étiquette à un sentiment, afin de lui donner une substance, afin de lui donner une continuité, afin d'être capable de l'examiner, ce qui revient à établir une continuation de la pensée. Après tout, le penseur est la pensée; et sans le processus de la pensée, sans une continuité accordée au processus de la pensée, il n'y a pas de permanence pour le penseur. Donc, nommer un sentiment, une expérience, donne une permanence au penseur, au gardien de l'enregistrement, qui est l'esprit: vous donnez un nom à un sentiment, à une expérience et, de ce fait, vous lui donnez une continuité; alors l'esprit se nourrit de cela, et se sent exister. Considérez une expérience, n'importe quelle sensation ou n'importe quel sentiment que vous éprouvez, de colère, de haine, d'amour; lui donnant un nom, vous l'avez stabilisée, vous l'avez classée dans le cadre de vos références. La nature même de l'appellation d'une expérience est de donner une continuité à la conscience, au “je”. Ce processus continue tout le temps et à une telle vitesse que nous en sommes inconscients. Ce disque est joué sans arrêt à différents niveaux, sur des thèmes différents, avec des mots différents, que nous soyons éveillés ou en train de dormir.
Mais qu'arrive-t-il si vous ne nommez pas, si vous ne donnez pas de nom à une expérience? Si vous n'êtes pas en train de nommer les différentes sensations, si vous n'avez pas d'arrière-plan, où est le « vous»?
Je veux dire que si le sentiment (ou l'expérience) n'est pas nommé, il se fane, se réduit, disparaît, il n'a pas de continuité. Faites-en l'expérience, et vous verrez vous-même. Si vous avez un très fort sentiment de nationalisme, qu'arrive-t-il? Vous lui donnez un nom, une pensée surgit d'idéalisme, d'amour; vous dites: «mon pays»; en somme, vous nommez le sentiment et, de ce fait, vous lui donnez une continuité.»





En un instant il se voit transporter sur une île... La voix se superpose aux rythmes des flots...

"Celui qui bouge pour se faire l'écuyer de sa rage tient son âme pour peu de chose; il meurt au premier mouvement. Qu'on fasse taire cette horrible cloche qui met cette île effarée hors d'elle-même!"*
La lointaine et lancinante mélodie des vagues couvre les mots par d'autres mots :
"... La légende déroule
Le chemin de ses jours
Où va la roue du temps
qui roule depuis tant
De longs moments sans toi..."

Le Dr. Logical s'étonne que de simples mots
puisse, l'espace d'un instant,
se jouer des certitudes
en secouant le temps et ses fondements
Lidane Liwl
Édition "Le temps s'écoule"
* Othello

vendredi 20 septembre 2024

Chanson

  

« C’était un cénacle récent, fondé un an plus tôt, qui devait son nom à la lune géante, parfaitement ronde, qui flottait au-dessus de l’université durant la première soirée du cénacle et qui avait semblé, cette nuit-là, occuper un quart du ciel. Le bâtiment de l'université, masse noire avec deux ou trois fenêtres allumées seulement, craquait sous elle, ployait et se creusait comme sous une boule d'un poids incalculable.»

Mircea Cartarescu, Solénoïde, Points, page 55-56


Dans ses mains le très minuscule caillou l’intrigue. Il donne l’impression de changer en même temps qu’il semble chanter... de plus il se déplace sans se préoccuper de la pesanteur… et, peut-être sous l’effet de la chanson, prend une telle ampleur qu’il devient impossible de le voir en son entier…

"Écoute la chanson
Qui se souvient des jours
Elle qui n’a jamais pu
Arrêter un instant
La ronde des amants"


Le Dr. Shuffle entend
venant des profondeurs,
une mémoire qui arrête l'instant
Lidane Liwl
Édition "Le temps qui roule"

Limites lointaines

 




Le Dr. Logical est dérangé par ce qu'il sait, ce qu'il voit et ce qu'il entend. Les limites lointaines de son univers lui semblent se rapprocher…
– Le tout ne forme pas un ensemble très heureux... se dit-il dans un murmure à peine audible et un léger tremblement à peine discernable.
Celui que je recherche s'est à nouveau perdu. Le moindre indice peut se révélé porteur... Lui aussi entend la voix:
–  "Gémir sur un malheur passé et disparu est le plus sûr moyen d'attirer un nouveau malheur. Lorsque la fortune nous prend ce que nous ne pouvons garder, la patience rend son injure dérisoire. Le volé qui sourit dérobe quelque chose au voleur. C'est se voler soi-même que dépenser une douleur inutile."*


Au seuil des abysses
Le Dr. Shuffle se réveille
Brusquement, venant des profondeurs,
sa mémoire le soulève
Trop tard il se relève
De larges ombres l'emporte
endormi sur la roue du temps
Lidane Liwl
Édition "Au fond du temps attend l'instant"

William Shakespeare, Othello

jeudi 19 septembre 2024

De son côté

 



De son côté, le Dr. Logical essaie avec ses moyens limités de faire le jour sur cette affaire.

Sans aucune peur, l'enfant a sauté. Ce n'est qu'à l'approche des vagues furieuses que sa peur se réveille. Une , deux, trois vagues se relaient pour l'engloutir qu'il parvient à chevaucher. La quatrième est trop grande et l'enfant, devenu homme, plonge... C’est alors qu’il vit se lever l'oiseau sur l’horizon, sur lequel son regard s'accroche. La mer se calme, la voix s'est tue, la houle se stabilise, son corps se redresse, son souffle revient.


Au seuil des abysses
La houle se réveille
Timidement, venant des profondeurs
d'autre voix se lèveront
Dans ce silence habité
de larges ombres patientent
endormant le temps et ses porteurs
Lidane Liwl
Éditions Ce qui au fond du rêve attend

Lointain

 
« À la fin, je serai enroulé comme par un cocon de fils translucides de milliards de vies virtuelles, de billions de voies sur lesquelles j'aurais pu m'engager, changeant de manière infinitésimale l'angle de progression. Nous nous retrouverons, après l'aventure d'une vie, mes milliards de moi, possibles, probables, accidentels et nécessaires, chacun arrivé au bout de son histoire, et nous nous raconterons nos réussites et nos échecs, les aventures et les moments d'ennui, la gloire et la honte. Aucun ne prévaudra sur les autres, car chacun est au centre d'un monde qui n'est en rien plus irréel que celui que je nomme « réalité». Tous les mondes infinis générés par les choix et les accidents de ma vie sont aussi concrets et vrais les uns que les autres. Mes milliards de frères avec lesquels je parle à la fin, dans l'hypersphère additionnant tous les récits générés par mon ballet dans le cours du temps, sont riches ou pauvres, ils meurent jeunes ou de grande vieillesse (certains ne meurent jamais), ils ont du génie ou sont des ratés, des clowns ou des entrepreneurs de pompes funèbres. Si rien de ce qui est humain ne m'est étranger, finalement, j'embrasse à travers mes frères réels-virtuels toutes les possibilités et j'accomplis toutes les virtualités incluses dans les articulations de mon corps et de mon esprit.»

Mircea Cartarescu, Solénoïde, Points, p.52
 
 

 – Que vous aurait-il dit encore?
Ce n’était point la suite mais, comme il lui arrive souvent, il s’est mis à raconter un petit détail, une sorte de souvenir dont on ne sait à qui il pourrait appartenir et auquel il nous est impossible de nous situer…
 

L'enfant semble avoir beaucoup grandi. La terre à ses pieds semble bien lointaine. Délaissant sa maison vide, il part en direction de cet appel qui l'a fait se lever. De drôles de vagues remuent au fond de son coeur. L'enfant s'interroge.
– Où donc est passé ce géant que je croyais avoir sauvé ?
La voix du large à nouveau se fait entendre:
– "Mieux vaudrait pour moi la démence: mes pensées alors seraient distraites de mes chagrins et mes malheurs dans les errements de l'imagination perdraient la conscience d'eux-mêmes."*


Au dessus du toit d'une maison vide
Le ciel se réveille
Timidement, venant des profondeurs
une autre voix se lève
dans ce silence habité
De larges mouvements impatients
endorment les passants impatients
Lidane Liwl
Édition "Au fond du vrai attend le rêve"
*Le roi Lear

mercredi 18 septembre 2024

Plume



 
“Chacun, à sa guise, comme autant de fleurs offertes, ira de son épithète... Mais, point de «je» ici qui ne soit des « nous » divers et partageables.
Michel Serres, dans L'Incandescent, s'interroge: «Que sommes-nous?» «Qui sommes-noua?» On ne décline jamais son identité (fût-ce aux frontières), seulement quelques-unes de nos appartenances. Toutes les exclusions se nourrissent de la réduction de l'une à l'autre, de la relation d'appartenance au principe d'identité. Il est alors de bonnes trahisons, de celles qui agacent les appartenances, toujours un peu étriquées, puisque «trahir» (comme traduire), c'est à la lettre passer une frontière (tra-ducit). Les traîtres en ce sens ne sont que des échangeurs... Avec Jean, nous retrouvons Hermès, le dieu de la communication qui tel un ange passe et fait passer.
Alors, une fois de plus, qui est-il? «Personne»! tel Ulysse, un «point vierge», une vacance qui autorise tous les possibles…”



– Que s’est-il passé ensuite?
– Rien de spécial… il s’est remis à écrire comme s’il ne m’avait rien dit et…
– Comme si vous n’existiez point…
– C’est cela… il a repris sa plume et a recommencé écrire tout en murmurant à voix basse… comme si de rien n’était:


Thomas Logical lit et relit les pages du Dr. Shuffle. Il essaie de mettre bon ordre à ce qui semble ne pas en avoir. Il ne peut comprendre ce monde où pourraient apparaissent sans cesse des formes nouvelles...
- Je fis aussi la connaissance de la Grande Plume, écrivait le Dr. Shuffle. Elle paraissait chaque matin, juste avant l'aube et… juste avant le cri. La plume qu'il tenait en sa main droite vibrait de manière subtile. Il suffisait que je cesse de penser et que je laisse aller ma main pour qu'apparaissent sur ces pages des phrases toutes faites qui ne manquaient pas de me surprendre...
Et toujours la chanson qui vient, obsédante… Il le comprend maintenant, elle vient du Grand Farfelu.
"...Mystère de nos deux corps
délivrant ses accords..."


Thomas, incrédule, se surprend à constater
que ce qu'il lit ne vient pas uniquement du carnet...
Lidane Liwl
Édition "Le temps ne se charge de rien"


Ramifications

 


« C'était une catastrophe, pas dans le sens de l'écroulement d'un immeuble ou d'un accident de voiture, mais de la pièce de monnaie lancée vers le plafond et qui retombe du mauvais côté. De la paille plus courte qui décide de votre sort sur le radeau de la Méduse. À chaque instant de notre vie, nous opérons des choix, ou nous sommes poussés par un souffle de vent dans une direction plutôt que dans une autre. La trajectoire de notre vie se solidifie sur notre passage, se fossilise et acquiert de la cohérence mais aussi la simplicité du destin, alors que nos vies qui auraient pu être, qui auraient pu se détacher à chaque instant de la gagnante, restent des lignes en pointillé, fantomatiques: des créodes, des différences de phase quantique, diaphanes et fascinantes comme des tiges qui végètent dans une serre. Je cligne des yeux et ma vie se ramifie, car j'aurais pu ne pas cligner et alors j'aurais été un autre.»

Mircea Cartarescu, Solénoïde, Points, p.51




– Vous voilà bien silencieux!
– Il me vient à l’esprit ce qu’un jour il m’a dit…
– Que peut-il vous avoir dit qui puisse vous mettre en cet état?
– Précisément… c’est ce que je ne puis vous dire!
– Pourquoi cela?
– Parce qu’il m’a dit de ne pas le répéter…
– Quand était-ce?
– Il y a bien longtemps déjà…
– Alors ce n’est plus d’actualité! Allez dites-moi!
– Un jour il écrivait et semblait ne pas être heureux de le faire… alors je lui en demandais la raison… il me dit:“J'écrivais. Jusqu’à aujourd’hui j'écrivais beaucoup. Il me semblait qu'en écrivant j'apprenais beaucoup. Mais je ne ressentais nullement cette liberté que j'avais imaginé atteindre par le fait d’être... Au contraire, il me semblait que je n'étais guère que le créateur de mes ennuis. Il me semblait être prisonnier de ce qu'ils me racontaient. Ils étaient là à parler et moi à transcrire, non pas dans les moindres détails, c'était impossible, tout allait trop vite. Ainsi au lieu de prendre du recul et de voir plus clairement les choses, j'étais de plus en plus dans l'action, tout, absolument tout se mettait à se ramifier, à tel point que le peu de réalité à laquelle j’avais encore accès commençait à m'échapper.”


mardi 17 septembre 2024


 

 


Si l'espace infini de la nuit n'est point celui du silence, il n'est pas non plus celui de la réflexion. Bien au contraire. Tout se passe d'autorisation... Le moindre bruit prend une forme que le jour ne pourra jamais révéler. Ainsi quand le monde des formes perd son révélateur, le son prend le relais.  Inutile de s’attarder et de réfléchir, ce qui dans la nuit se cache prend forme et l’œil absent perd de son pouvoir au profit de l'autre, celui qui ne voit que dans la nuit.



Écrit

 
 
 
« Voilà, vous êtes finalement des gens de l’écrit, des corps d’écriture du lundi au vendredi. Vous évoluez dans un univers qui est structuré par l’ordre de l’écrit. Puis, si vous êtes des étudiants à peu près standards, le vendredi soir, vous allez faire la fête de minuit à cinq heures du matin et vous plongez dans un monde qui est aux antipodes de l’écrit. On y bouge, on y est actif et imaginatif ! Il y a du corps chantant, buvant, désirant, etc., tout sauf de l’écrit. C’est cette double socialisation aux profils opposés et aux profits différents – monde à l’endroit de la littératie et monde à l’envers de l’oralité - qu’il est impératif de prendre en compte.»
 
Jean-Marie Privat, La raison graphique à l’œuvre

– Il est des choses et des mouvements qui se ressemblent sans pour autant directement s'assembler...




– Cependant, pour peu que l'on fasse quelque effort... il se pourrait que les traces recèlent quelque intérêt... qui pourrait être de l'ordre du langage et de la communication... volontaire ou non...


lundi 16 septembre 2024

Réapparition

 « Tout mythe pose un problème et le traite en montrant qu’il est analogue à d’autres problèmes; ou bien le mythe traite simultanément plusieurs problèmes en montrant qu’ils sont analogues entre eux. À ce jeu de miroirs, reflets qui se renvoient l’un l’autre, ne correspond jamais un objet réel. Plus exactement, l’objet tire sa substance des propriétés invariantes que la pensée mythique parvient à dégager quand elle met en parallèle une pluralité d’énoncés.»

Claude Lévi-Strauss


 


– Je ne vois point les lettres et les mots qu'il écrit.
– A peine écrits, ils s’effacent... 
– Ce ne serait point, au sens strict, une écriture...
– Vous vous trompez.
– Mais je ne vois rien que je puisse lire!
– Si vous vous approchez vous pourriez en voir la trace.
– Vous voulez dire la trace, comme l'on dit de celles que laissent les animaux dans le sable ou la neige?
– C'est exactement cela.
– Seraient-ils condamnés à disparaître?
– Ils ne sont point condamnés... mais ils disparaîtront... et réapparaîtront…
– Sous une autre forme…
 
 

 
– Interpréter c'est raconter une histoire incroyable... une histoire dont qu'on ne peut comprendre. La fiction est ce qui capte la sensibilité de l’inconscient à autre chose que ce qui est prévisible. Pour cela l'histoire doit être imprévisible sous peine de déception.



Identification

 « Je crois que la méditation nous ferait même sortir de toutes [les difficultés] dont nous avons parlé. Voyez-vous, l'essentiel est que nous avons parlé de quelque chose qui est une sorte de pont. Toute cette construction de l'ordre implicite est une sorte de pont. Nous pouvons l'exprimer dans notre langage ordinaire, mais son implication mène quelque part au-delà. En même temps, cependant, si vous ne traversez pas le pont et ne le laissez pas derrière vous, vous savez, vous êtes toujours sur le pont. Cela ne sert à rien d'y être!»


Conversation avec David Bohm, animée par Renée Weber, in Le paradigme holographique, Le jour éditeur 


 


– Que fait-il?
– Il écrit.
– Qu'écrit-il?
– L'histoire.
– Quelle histoire?
– Celle que nous vivons.
– Je croyais que c'était notre maître qui l'écrivait!
– C'est la même chose.
– Je ne comprends rien à ce que me dites...
– L'enfant Lune est...
– Que vient-il faire dans cette histoire? Je croyais que nous étions dans celle de Don Carotte...
– Qui vous a dit que c’était lui?… Peu importe il faudra vous y faire...
– Vous n'allez pas me dire que c'est la même histoire?
– Elle n'est pas identique, mais, effectivement, on pourrait dire que c'est la même...

dimanche 15 septembre 2024

 

 



En pleine nuit, quand la brume se dissout dans l'obscurité, nous avions la sensation que le sol sur lequel nous cheminions changeait de nature. Face aux étoiles saltimbanques, les cailloux fêlés sur lesquels nous étions assis, semblaient se reconnaître dans le miroir obscur de la nuit et revivre une histoire à laquelle nous n'avions pas accès. C'était comme si nous avions entre nos mains une petite part d'une histoire qui a commencé il y a des millions d'années... C'est pourquoi, où que nous allions, nous les emportions avec nous.

Dans la nuit

 « Nos cerveaux construisent mathématiquement la réalité "concrète" en interprétant des fréquences venant d'une autre dimension, un domaine de réalité primaire, structurée, signifiante, qui transcende le temps et l'espace. Le cerveau est un hologramme, interprétant un univers holographique.»

Ken Wilber, «Le paradigme holographique, le jour, éditeur 


Je refuse de croire entièrement à la disparition de Désiré. Dans la nuit, avec lui, je me promène. Je regrette tellement que nous n'ayons pu nous produire en public. Ne serait-ce qu'une seule fois pour échapper à cette lutte obscure où se livre et délivre ce qui en nous met en fuite.

Le réel et le le futur de Don Carotte
se présentent sous la forme de rêves
délivré de l'emprise de la réalité
dans les lumières de la nuit.
Lidane Liwl
Édition "En sommeil"

samedi 14 septembre 2024


 
 
« Nous voyons, de cette rive si pure, toutes les choses humaines et les formes naturelles mues selon la vitesse véritable de leur essence. Nous sommes comme le rêveur, au sein duquel, les figures et les pensées bizarrement altérées par leur fuite, les êtres se composent avec leurs changements. Ici tout est négligeable, et cependant tout compte. Les crimes engendrent d'immenses bienfaits, et les plus grandes vertus développent des conséquences funestes: le jugement ne se fixe nulle part, l'idée se fait sensation sous le regard, et chaque homme traîne après soi un enchaînement de monstres qui est fait inextricablement de ses actes et des formes successives de son corps. Je songe à la présence et aux habitudes des mortels dans ce cours si fluide, et que je fus l'un d'entre eux, cherchant à voir toutes choses comme je les vois précisément maintenant. Je plaçais la Sagesse dans la posture éternelle où nous sommes. Mais d'ici tout est méconnaissable. La vérité est devant nous, et nous ne comprenons plus rien.»

Paul Valéry, Eupalinos ou l’Architecte
 
 
 

 
 
– Et lui?
– Que voulez-vous savoir?
– Que traine-t’il après lui?
– La question serait plutôt de savoir quelle sera sa forme… C’est un question de point de vue…
– La vérité est tout autant derrière lui que devant lui…
– Mystérieuse et instinctive… pour autant qu’elle existe.


En un certain temps

 

 

– Dites-moi… quel serait le lien qu’il pourrait y avoir entre nous et Don Carotte?
– Cela, en un temps qui n'était point le sien, fut déjà dit…
– Répéter est notre mission… Répétez donc car je ne vois point ce dont vous me parlez de si étrange manière…
– Être de tous les combats... léger soubresaut, fantasme bon teint, l'enfant vieilli, au dernier niveau, se souvient.
– Et moi non…
–  Le cabaret destructeur souffle, scène après scènes, pour lui plus que pour tout autre, la fabuleuse histoire de la fuite du temps. Cet ancien temps qui serait ce doux mélange de sommets, de ponts et de ravins qui se marient et charrient au loin ce qui fut à portée de main. Découper une étoile un millions de fois et plus... pour enfin discerner ce qui dans la lumière nous éblouit. Pour la première fois une sorte d'inventaire est disponible.
– Et alors?
– Voilà le monde de Don Carotte!

vendredi 13 septembre 2024

Mise en jeu

 

« Mais comment entendre la modalité de cette présence singulière par laquelle une vie ne nous apparait qu'à travers ce qui la fait taire et la tord en une grimace? Foucault semble s'apercevoir de cette difficulté: «Ce n'est pas un recueil de portraits qu'on lira ici: ce sont des pièges, des armes, des cris, des gestes, des attitudes, des ruses, des intrigues dont les mots ont été les instruments. Des vies réelles ont été "jouées" dans ces quelques phrases; je ne veux pas dire par là qu'elles y ont été figurées, mais que, de fait, leur liberté, leur malheur, leur mort souvent, leur destin en tout cas y ont été, pour une part au moins, décidés. Ces discours ont réellement croisé des vies; ces existences ont été effectivement risquées et perdues dans ces mots. » Qu'il ne pût s'agir ni de portraits ni de biographies, l'affaire était entendue; ce qui soude les vies infâmes aux écritures décharnées qui les enregistrent n'est pas de l'ordre de la représentation ou de la configuration, mais quelque chose de bien différent et de plus essentiel: elles sont «mises en jeu» dans ces phrases, leur liberté et leur disgrâce y sont risquées et décidées.»

Giorgio Agamben, Profanations, Rivages poche, p.84-85


Ce jour restera gravé dans la mémoire des hommes comme est gravée dans la terre la preuve de l'existence du "Tout Grand". Le nom est lâché. Un tout petit faisceau de lumière se fraye un chemin. Les rideaux de la secrète mission des Dr. Schuffle et Logical s'entrouvrent. Le Dr. Schuffle, malheureusement sans témoin, pour la première fois depuis des années a mis pied à terre. Ce qui se joue est un événement considérable. À lui seul, il mériterait que l'on s'y attarde à notre tour, mais l'actualité étant ce qu'elle est, cet acte de bravoure restera, probablement pour l'éternité, enfoui sous la poussière que le vent aura bientôt emportée... Un petit cratère d'une circonférence de deux mètres environ, à la forme régulière, marquait le lieu de sa découverte.
– Serait-ce que tout cela ne serait qu’un jeu… Il se pourrait que cette empreinte géante soit le sceau de l'Alliance, se dit le Dr. Schuffle, encore, sous le coup de l'émotion, en pleine exaltation.
– Elle donne à voir ce qui en d’autres temps ne peut être vu.

La découverte du Dr. Shuffle n'est, somme toute, pas banale.
S'ils connaissaient l'objet véritable de leurs quêtes, le Dr. Schuffle
et son compère le Dr. Logical, juchés sur leurs grand chevaux bleus
et la plante de leurs pieds, sauraient alors que l'Alliance les dépasse de beaucoup
et que les morts que le Dr. Logical découvre sur son chemin
ne sont pas étrangers à leur histoire.
Lidane Liwl
Édition "Il n'est pas interdit de savoir" 

Jeu

 

« Mais une société sans séparations est-elle possible? La question n'est peut-être pas bien formulée. Car profaner ne signifie pas seulement abolir et effacer les séparations, mais apprendre à en faire un nouvel usage, à jouer avec elles. La société sans classes n'est pas une société qui a aboli et perdu tout souvenir de la différence de classes, mais une société qui a su en désactiver les dispositifs pour en rendre possible un nouvel usage, pour les transformer en moyens purs.
Rien de plus fragile et de plus précaire cependant que la sphère des moyens purs. Le jeu lui-même, dans notre société, a un caractère épisodique, après lequel la vie normale doit reprendre son cours (et le chat sa traque). Et nul ne sait mieux qu'un enfant combien un jouet peut être atroce et inquiétant quand le jeu dont il faisait partie a pris fin. L'instrument de la libération se convertit alors en un bout de bois inutile, la poupée sur laquelle la petite fille avait jeté son dévolu en un minable mannequin de cire qu'un méchant magicien pourrait bien ensorceler pour s'en servir contre nous.»

Giorgio Agamben, Profanations, Rivages poche, p.114-115



Quand les oiseaux furent repartis, le Grand Fanfaron m'invita à le rejoindre sur la piste. Nous montâmes sur l'estrade où j'eus droit à une leçon magistrale sur la façon de diriger les étoiles.
– Tout cela n’est qu’un jeu. Les étoiles sont comme les oiseaux, me dit-il, elles ne font que ce qu'elles désirent. On ne peut rien leu imposer. Il faut juste les diriger selon leurs désirs. Et ce qu'elles aiment par-dessus tout, c'est une certaine sorte de lumière... Cette lumière leur donne de la magnificence et dès lors quelque soit l'environnement elles se croient en leur palais tout de marbre et d'albâtre et leurs visages cachés sous un masque d'or dansent et tracent dans l'espace d'ingénieuses figures dont le sens échappe aux curieux et ravissent les connaisseurs. Le Grand Fanfaron et moi nous assîmes et regardâmes la joyeuse bande des étoiles qui, une fois terminée leur secrète et privée représentation, se dispersaient et rejoignaient le ciel en continuant leur musique que nous entendions encore malgré les distances vertigineuses qui dès lors ne nous séparaient plus mais curieusement nous rapprochaient...


La lente initiation de Don Carotte
sous l'emprise des étoiles
et de leurs lumière déroutantes.
Lidane Liwl
Édition Lettre est son. Pars ! Cours !

jeudi 12 septembre 2024

Interiorité


«  Pourquoi certains animaux nous regardent-ils spontanément dans les yeux? S'ils pensaient que nous sommes des corps mus par des forces physiques, des pierres chutant, des arbres; ou bien s'ils ne pensaient pas, ils poseraient leur regard indépendamment sur toute la surface du corps, sans trouver nos regards.
Ici, le fait qu'ils nous regardent dans les yeux indique qu'ils savent quelque chose: il y a une intentionnalité cachée derrière nos yeux, comme s'il y avait quelque chose à voir, comme si nous avions vraiment une âme, trahie dans ces miroirs. Je ne sais pas le dire. Le eye-contact révèle ce que ces animaux comprennent de ce que nous sommes. Ils nous attribuent une intériorité, nous qui peinons tant à leur rendre cette politesse, que leur geste pourtant appelle: il n'y a qu'une intériorité pour en reconnaître une autre, parmi les rochers, les forêts, les nuages.»

Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Actes Sud, p.34
 

 
L’esprit de nounours l’entraîne, disait-il, hors champ, hors cadre, dans les espaces en marge, paysages écorchés, dans les contrées montagneuses de son enfance, la région des collines celle, supposée, de sa mère, là où le règne végétal et animal le réinvente face aux impacts de la vie sociale imposée aux êtres comme lui. Il arpente ces territoires fragilisés mais encore luxuriants. Il observe les ressources du reste de vie sauvage qui subsiste pour mieux comprendre les stratégies de survie de ceux qui doivent s’y débrouiller, chasser et tuer.
C'est ainsi qu'il accumule une somme de connaissances, de ressenti et d’images. Tout cela, naturellement, est faux et n’est que prétexte pour tenter de se rapprocher de cette nature qu'il affectionne tant, et dont, au fond de lui, il sait combien il en est éloigné…

La grande ourse


 Toujours pendant ce temps… Don Carotte, secret de polichinelle, ne voyageait point sans nounours…Nounours serait-il ce lien fragile qui perdure plus ou moins, menaçant de se rompre entraînant dans sa chute les uns et les autres…
Survivre à l’usage commun le reliant à la sphère du sacré sans le dénaturer tel était le dilemme…

 


Comme il se devait à l’époque de nombreux animaux vivaient et se produisaient dans le 
cirque où Don Carotte s’était réfugié... Nounours, au mépris  des dangers dont on peut imaginer qu’il n’en est point conscient, aimait les fréquenter… et même de près. Il n’hésitait point à entrer dans les cages.





mercredi 11 septembre 2024

 


Pendant ce temps, discrètement, une fois n’est pas coutume, le roi des Forains attend. Il est impatient de recevoir le fleuron le plus extraordinaire dont il ait jamais entendu parler et qu'il n'a lui-même jamais vu... Il a engagé les deux meilleurs agents qu'il connaisse.
– Je suis celui qui rassemble. Celui qui fait entrer les trésors au milieu du rassemblement. Autrefois j'étais de même nature que le soleil. J'étais ardent et sans pitié. Aujourd'hui, sans que nul ne le sache, il m'arrive souvent de quitter le costume de ma charge et de me promener nu, telle la lune dans la nuit, au milieu de chemins parsemés d'étoiles. Il a une très haute idée de sa charge… et de lui-même…




Invisible

 



De l’abstraction? Indépendamment du texte, il y en a. Non pas intentionnellement mais par la force des choses… toute image est abstraction… comme tout texte…Cette présence de l'abstraction dans le récit a un effet qui, lui aussi, en appelle à la philosophie: elle provoque la nécessité (en tout cas, le désir) de l'interprétation. Entre le texte et le lecteur débute alors un
processus qui engage une certaine conception de la vérité: vérité particulière n’ayant rien à voir avec «la vérité». Elle n'est pensable qu'en tant qu'objet de recherche.
– Quel-est donc ce désir qui me guide, me brûle et m'empêche de mettre pied à terre ?
– Est-ce la crainte de retourner là d'où je viens ?
– La primauté de l’un ne rend pas forcément dépendant le second…
La marche du Dr. Shuffle n'est, somme toute, pas banale. S'ils connaissaient l'objet véritable de leurs quêtes, lui et son compère le Dr. Logical, juchés sur leurs grand chevaux bleus ou sur la plante de leurs pieds sauraient alors de bien grandes choses sur l'origine de leurs réalités. Ce qu'il vont observer malgré toutles rendra tour à tour tristes et heureux.


Lidane Liwl
Édition "Pas plus que croire, il n'est pas interdit de voir"


mardi 10 septembre 2024

Les portants

 


Il y a une certaine forme d'évidence, lorsque l'on cherche à scruter les liens entre écriture et image, à croire que celle-ci illustre l’écrit. C'est de cette évidence dont l'on souhaite ici partir: non pas pour suggérer l’inverse, qui est quelque fois vrai, mais pour lui rendre son caractère problématique -pourquoi au juste compte-t-on naturellement l’image comme illustration? Pourquoi ne pas la considérer comme débordant spontanément du champ de la littérature… ou, plus humblement. de l’écrit? Ainsi, se baladant dans les images, le Dr. Shuffle a délaissé le brillant costume de sa fonction. Ce faisant il se défait des lois de sa fonction. Accompagné par ses deux guides ailés, il bat la campagne de ses pieds nus. Jamais il ne touche terre cependant. Lorsqu'il descend de cheval, c'est pour marcher sur les robustes feuilles et branches d'un arbuste très rare, invisible en temps normal: les "portants" du nom qu'il leur a donné. Personne d’autre, à sa connaissance, ne connaît cet arbuste et, par force, pas plus que lui, ne l'a jamais vu. Cette plante pousse littéralement sous ses pieds. Comme il marche généralement la nuit, cela ne porte pas à conséquences. Au petit matin elles ont disparu. Même le Dr. Shuffle ne sait d'où elles viennent, ni où elles vont… l'emmenant avec elles...


La marche étrange du Dr. Shuffle ne devrait pas surprendre Don Carotte s'il connaissait l'objet de la quête du Dr. Schuffle et de son compère le Dr. Logical, juchés sur leurs grand chevaux bleus et la plante de leurs pieds. Il saurait alors de bien grandes choses sur l'origine de leurs réalités. Ce qu'il va observer le rendra tour à tour triste et heureux.
Lidane Liwl
Édition "Il n'est pas interdit de s'interroger"


Je dus m'endormir quelques instants... Ce que je vis lorsque j'ouvris les yeux ne correspondait pas vraiment à ce que mes oreilles entendaient. C'était comme si la bande son du film avait été remplacée par une autre. Ainsi j'entendais une sublime mélodie et je ne savais pas si ce que mes yeux voyaient était une danse ou un combat...

La lente initiation de Don Carotteau prise à une musique charmanteaux pouvoirs désarmants.Lidane LiwlÉdition "L'être est son parcours"

lundi 9 septembre 2024

À l’unisson

 



Sans plus de façons, ceux que j’avais pris pour des oiseaux, venus de je ne sais où, enlevèrent leurs capes et s'installèrent sous le chapiteau et, sans même se concerter, se mirent immédiatement à jouer. C’étaient des musiciens formidables mais ceux qui me touchaient le plus étaient un violoncelliste et un accordéoniste qui s'étaient installés au plus haut et se balançaient nonchalamment au rythme de leur propre mélodie... Au milieu de la piste, dans les profondeurs obscures du cirque, surgit une planète sur laquelle tombait un mince filet de lumière. Elle vibrait à l'unisson de la musique...

La lente initiation de Don Carotte
au prise à une musique inconnue
aux pouvoirs délirants.
Lidane Liwl
Édition "L'être hait son double"