lundi 30 septembre 2024

Forêt

 
« Jadis, on dit qu'il n'y avait pas de terre. Il y avait juste un homme assis sur un radeau qui flottait. Autour de lui, de l'eau à perte de vue. Au-dessus de lui, le ciel. On dit qu'un rat musqué se tenait aux côtés de l'homme. Ils dérivaient au gré des courants. Un jour, tous deux en eurent assez d'être sur le radeau. Alors l'homme dit au rat musqué:
– Si tu prenais un peu de glaise dans tes griffes, je fabriquerais une terre où nous pourrions marcher.
Le rat musqué répondit:
– Je nage tout le temps dans cette eau et je n'y ai jamais vu de terre. Je me demande à quoi ça ressemble en bas. Que se passerait-il si je descendais vraiment profond?
-– Essaie! dit l'homme.
Le rat musqué plongea et disparut sous la surface. Après un moment sa petite tête émergea de nouveau.
– Je suis allé plus profond que d'habitude, mais j'ai eu peur et je suis vite remonté. Je vais réessayer.
 Il se reposa un peu et plongea encore. II s'absenta plus longtemps. Lorsqu'il réapparut, haletant, il dit:
– Je crois que j'ai vu de la terre, mais j'étais hors d'haleine.
Il reprit son souffle et descendit une troisième fois. Il resta invisible de longs instants. Alors que l'homme pensait qu'il ne remonterait plus, le rat musqué se hissa sur le radeau et s'affala épuisé aux côtés de l'homme. Il ouvrit péniblement ses griffes.
– Là, dit-il.
Il tendit sa patte, la fit basculer et versa un peu de graviers et de sable dans la main de l'homme. On dit que l'homme s'en servit pour créer la terre sur laquelle nous marchons aujourd'hui.»

Nastaja Martin, 
 
 


 
Telle une forêt fantôme la ville s’enfonce Les pieux tels des arbres sans branches et racines pénètrent par en haut et par en bas dans la nuit.
Julius, ayant une fois pour toute cessé de vouloir parler, il se mit à fredonner… Quelque chose en lui se mit à danser. De loin en loin les gestes ont suivis et lui, de plus en plus près les suit à son tour. Tant du ciel, comme un saphir rayonnant, que de la terre, inquiétante et invisible, telle la gueule béante de la mort, les souvenirs reviennent. Il craint de cette mémoire la contagion.


 

 

« Je veux écrire un compte rendu de mes anomalies. Dans ma vie obscure en marge de l'histoire et que seule une histoire de la littérature aurait pu fixer dans ses taxinomies, il s'est passé des choses qui d'ordinaire n'arrivent pas, ni dans la vie ni dans les livres. J'aurais pu écrire cela dans des romans, mais le roman brouille le sens des actes et les rend ambigus. Je pourrais les garder pour moi, comme je l'ai fait jusqu'à présent, et y penser chaque soir, pelotonné sous la couverture, jusqu'à me faire éclater le crâne, pendant que dehors la pluie cingle furieusement les carreaux. Mais je ne veux plus les garder seulement pour moi. Je veux écrire un rapport, bien que je ne sache pas comment, ni ce que je ferai de ces pages. Je ne sais même pas si c'est le moment opportun. Je ne suis encore arrivé à aucune conclusion, à rien de cohérent, mes actes sont de vagues aspérités sur l'émail banal de la plus banale des vies, des crevasses minimes, de petites inadvertances.
Ces formes informes, ces allusions et insinuations, ces accidents du terrain qui sont en soi insignifiants mais qui, ensemble, deviennent une chose étrangère et obsédante, ont besoin d'une forme elle-même nouvelle et inhabituelle pour être relatées. Ni un roman, ni un poème, car ce ne sont pas des fictions (ou pas entièrement), ni non plus une étude objective, car nombre de mes actes sont d'une singularité que même les laboratoires de mon esprit 
ne parviennent pas à reproduire. Je n’arrive même pas dans le cas de mes anomalies, à distinguer entre le rêve, les souvenirs anciens et la réalité, entre la fantaisie el le merveilleux, entre ce qui procède de la science el ce qui naît de la paranoïa. Ce que je suppose, c'est qu'en réalité mes anomalies prennent leur source dans la zone du cerveau où ces distinctions ne sont pas valables, et cette zone de mon cerveau est elle-même une anomalie de plus. Les actes mentionnés dans mon compte rendu seront fantomatiques et pâles, mais il en va ainsi des mondes où nous vivons simultanément.»

Mircea Cartarescu, Solénoïde, Points





Juste avant que le rideau ne s'ouvre, le directeur juché en équilibre plus ou moins instable sur les épaules des voltigeurs, eut une vision dont il se souviendra longtemps.
– Je me vis transporté sur l'océan déchaîné. Planté à la poupe d'une arche légère tirée par deux vagues tourbillonnantes, je portais la tranquille assurance de celui qui cherche et n'est jamais sûr de rien. Je traversais vaillamment l'obscurité. Des anges avaient pris la place des deux colosses qui me portaient. J'avais revêtu un habit couleur de feu et de nuit... Je regrettais que personne ne puisse me voir en cet attelage..
.


Le regard de M.le Directeur n'attend plus que d'être vuPendant ce temps, parmi les spectateurs,
peu se doutent de l'apparition et de la farce qui va leur être offerte
Lidane Liwl
Édition "Tout est à là pour celui qui sait le voir"

dimanche 29 septembre 2024

 

 

Au moment où la lumière et ses ombres se figent, le voyage peut commencer. La nuit ne diffère guère du jour. Les détails apparaissent, de plus en plus profonds. Un sens leur est donné. C'est ce qui m'est arrivé le jour du passage. Ce jour-là, la perception fut trop intense. Ma tête avait brûlé. J'avais eu la sensation de m'envoler. Je suis tombé. J'étais brisé. La nuit est tombée.
Je ne sais comment je rentrais chez moi. Je ne sais combien de temps je dormais. Je ne sais qui prenait soin de moi. Quand je me levais, je ne pouvais croire mes yeux: je ne reconnaissais rien, tout m'était étranger, tout était flou, mes jambes étaient lourdes et je boitais. À chaque respiration une odeur âcre me tailladait la gorge et enflammait mes poumons. En tremblant mes mains prirent le relais de mes yeux malades. Je dus me rendre à l'évidence, il ne restait plus que cendre du village qui m'entourait. J'étais seul. Patiemment, je reconstituais mentalement l'image de mon corps, puis l'image du village. Je finis par en avoir une vision si précise que je pouvais me déplacer sans l'aide de mes yeux. L'image que je concevais agissait comme un guide et se superposait à celle du monde. Je ne discernais plus guère entre les deux. Cela me plaisait beaucoup mais d’aucuns diraient que cela pourrait aussi devenir dangereux... 


Unisson

 


C'est à l'unisson qu'ils firent leurs premiers pas dans la vie. Certes l'âne grandissait plus vite, beaucoup plus vite que le garçon, mais le couple restait soudé, même si très vite et imperceptiblement, l'âne par la force des événements et par la nature de son évolution, endossa le rôle de parent. Il faut dire aussi qu'il grandissait à vue d'oeil et d'une façon qui n'était guère courante. De son côté l'enfant grandissait aussi, à son propre rythme, mais cela ne se voyait guère en comparaison de son compagnon. Lui-même était fortement désorienté. Il alla jusqu'à croire qu'il ne grandissait pas et que, au contraire, il rapetissait. Certains jours, cela lui posait problème... Mais comme il passait le plus clair de son temps en compagnie de celui qu'il appelait affectueusement mon frère, il finissait par ne plus avoir d'autres points de comparaison. Il s'en accommoda tant bien que mal. Et puis il apprenait à écouter. 
- "Aie plus que tu ne montres,
Parle moins que tu ne sais,
Prête moins que tu n'as,
Chevauche plus que tu ne marches,
Apprends plus que tu ne crois,
Risque moins que tu ne gagnes,
Renonce à ta boisson et à ta putain,
Et reste au logis;
Et tu obtiendras
Plus de deux dizaines à la vingtaine."*
L'enfant ne comprenait pas encore mais chevauchait et, sans même prêter l'oreille, en apprenait de plus belle...


* Shakespeare, Le roi Lear


samedi 28 septembre 2024

 Nous ne possédons guère de Victor-Hugues O., sous son nom, que des tragédies incomplètes, les dialogues avec un chien fidèle et une petite partie de son oeuvre philosophique. Dans ses écrits tragiques il a souvent imité les grands auteurs antiques et souvent les a surpassé. Ces textes, incomplets et disséminés, nous insistons, se caractérisent essentiellement par la description et l'analyse de nos passions paroxystiques.


Victor-Hugues note dans son journal :
– J'avais quelques doutes à propos de l'identité de celui qui s'était présenté. Je l'avais vu très grand comme surmontant les montagnes et puis très vite il sembla avoir disparu. Il semblait jouer avec la lumière du soleil puis se fondre dans la végétation. Je ne savais pas si c'était un homme ou une femme. J'en arrivais même à douter de sa présence réelle.
Peu importe qui je suis, lui répondit Kléobis.
Sache qu'avant toutes choses, bien avant de savoir si je suis un homme ou une femme, ”que je ne suis pas seulement un docteur, mais que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur:
1° Parce que, comme l'unité est la base, le fondement, et le premier de tous les nombres, aussi, moi, je suis le premier de tous les docteurs, le docte des doctes.
2° Parce qu'il y a deux facultés nécessaires pour la parfaite connaissance de toutes choses: le sens et l'entendement; et comme je suis tout sens et tout entendement, je suis deux fois docteur."*
Victor est un peu désemparé, il cherche se mots.


* Molière, La jalousie du barbouillé 


Tant d’autres

 


Toute histoire possède un début, une cause, voire plusieurs causes et donc plusieurs débuts, tous inatteignables, dans lesquels le héros se retrouve empêtré comme l'hélice dans les algues d'une lagune trop riche. Tous, le juge Tancrède, l’enfant Lune, Pinocchio l’Autre, Marcel, tout comme Don Carotte et tant d’autres peinent à maintenir le cap de leurs histoires dans le flot ininterrompu de questions, qui restent bien évidemment sans réponses. Désespéré devant ces créatures monstrueuse qu'il a conçu lui-même dans les secrets méandres de son trop riche cerveau, Tancrède entend venir à lui l'enfant. Une simple mélodie, une vraie chanson de marin, une chanson venue des bas-fond qui le tire vers le ciel aux allures portantes et aux recommencements infinis et incertains, aux antipodes d'une musique intelligente et savante, le tire lentement de ses rêveries bien trop réelles.



 
« Ma terreur est toujours venue du fait que nous ne savons pas comment est le monde, que nous ne connaissons que son visage éclairé par les sens. Nous connaissons le monde construit par les sens dans notre tête, comme on construirait la maquette d'une maison sous une cloche de verre. Mais le monde énorme, le monde comme il est en réalité, celui que des millions de sens déployés comme des anémones de mer dans le flux incessant de l'océan ne pourraient même décrire, se trouve tout autour de nous et nous broie dans son étreinte, os après os. Je devais avoir douze ans quand ma peur du monde est devenue aiguë et claire. J'ai compris alors pour la première fois que les mâchoires, les dents, les griffes, les serres, les dards de ces monstres sauvages, que le fantasme du dépeçage de mon corps si fragile, n'étaient en rien la source de mon inquiétude continue, mais que c'était le vide, le rien, l'invisible.»

Mircea Cartarescu, Solénoïde, Points, p.88

  
 


Carnet de l’Enfant Lune
Troisième page
 
J’étais devenu un nouveau Sisyphe, condamné à rouler sans cesse mon corps jusqu'au sommet de ma tête d'où il retombait par son propre poids entraînant la tête dans sa chute. Qui pouvait avoir pensé et avec quel raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir…

vendredi 27 septembre 2024

Lien

 

« Nous décrivions l'aventure comme un remède à l'ennui: en précipitant et passionnant le rythme de la futurition, l'aventure nous fabrique une histoire riche d'événements, de nouveautés et de conjonctures inouïes; elle fait émerger les instants virtuels immergés dans le continuum de l'intervalle. Il serait pourtant simpliste de considérer l'instant comme le remède et l'intervalle comme le malheur! Certes l'émergence aventureuse de l'instant s'accomplit souvent dans la joie, mais plus souvent encore elle s'annonce à nous dans les transes de l'angoisse.»

Vladimir Jankélévitch
L’aventure, l’ennui, le sérieux, Flammarion
Page 59

 
 
 

 
 
– Ces petits iront loin! avait jaillit simultanément de la gorges de ses parents adoptifs au moment même où ils virent l’enfant et l’ânon. Ce qui les ému durablement et raffermit le lien charnel qui les liait.
– Des étoiles brillaient au fond de leur orbites dilatées par le feu de leurs passions réciproques...
– Par les circonstances assez trouble de cette entrée dans la vie, celui qui deviendra le personnage dont nous parlons aujourd'hui ne portait pas de nom.
– Comment l’appelait-on?
– On l'appelait "Toi" lorsqu'on s'adressait à lui, ou "Lui", quand on parlait de lui hors de sa présence.
– Lui, quand il se parlait, devant le miroir par exemple, se disait "Moi".
– Ce qui créait une distance entre "Lui" et l'homme qu'il ressentait dans son propre corps.
– Et puis?
– Et puis il arriva de plus en plus souvent, sans que personne ne sache pourquoi, qu'on le surnomma "Carnaval"...
– Ces divers noms changeants devaient lui peser!
– On peut aisément le comprendre d'autant plus que fort souvent on parlait d'"eux", l'ânon et l'enfant, sans les distinguer. Il faut dire que ces deux-là s'entendaient fort bien. C'est à l'unisson qu'ils firent leurs premiers pas dans la vie.

Quand le rideau s'est ouvert, l'esprit s'échappe
Certains rêvent, parmi les spectateurs
Peu se doutent qu'il ne se réveilleront jamais
Lidane Liwl
Édition "Le vrai recèle le faux"

Rescapé

 

 
« Vous avez toute l’allure, et le mystère d’une société secrète. Lorsqu’il vous arrive de parler de votre Compagnie, l’on croirait qu’il s’agit d’un simple salon, ou d’un club. Vous ne vous piquez de rien moins que de former un corps savant, et vous nommez entre vous confrères plutôt que collègues. Voici l’un des traits, non le moins frappant, de votre mystère: c’est qu’ayant une fois pour toutes résolu de vous consacrer à l’étude du langage dans ses formes les plus complexes comme les plus simples, du vocabulaire à la rhétorique, vous avez impitoyablement rebuté depuis une centaine d’années tous les savants qui avaient fait de ce langage leur étude particulière: l’on dirait qu’il vous est une sorte de chasse gardée ou bien qu’il vous a été donné de le saisir par un biais qui n’appartînt qu’à vous. Messieurs, c’est à ce mystère que vous avez bien voulu m’inviter à prendre part. C’était me proposer une tâche difficile, mais somme toute grave et joyeuse. Puis-je ajouter sacrée?»

Jean Paulhan, extrait de son discours de réception à l'Académie française, 1964

 

 
 

 

Il se pourrait, on le dit, que Monsieur le Directeur n'ait pas de nom. Étant donné qu’il n’en a pas reçu, il est du petit nombre des hommes qui n'ont pas laissé au monde ce que chacun désirât que l'on connût de lui et de sa vie: un nom. Personne n'eût pu se douter, surtout pas lui, qu'il était le petit-fils d'un archevêque et de la mère supérieure d'un couvent de grande renommée, que nous ne citerons pas. Pour des raisons qu'il est facile d'imaginer, le fruit de cet amour, conçu pendant un instant de relâchement coupable, c'était carnaval, fut bien vite confié aux bons soins d'une nourrice. Celle-ci, pour d'obscures raisons disparût mystérieusement une année plus tard, au cours du carnaval suivant. Ce jour-là, le petit venait de faire son premier pas au son d'une musique qu'il semblait reconnaître. À nouveau orphelin, le petit fut recueilli par une famille fort pauvre de biens mais riche de son esprit éclairé. Il errait au petit matin, accompagné par un ânon au pelage bleuté par la nuit. Ils étaient les seuls éveillés sur la route déserte. Le petit garçon tenait en sa main un petit bâton avec lequel il jouait. "Seuls rescapés d'une nuit de folie" dira-t-il plus tard.

Quand le rideau s'ouvre, l'esprit se ferme
Certains dorment, parmi les spectateurs
Peu se doutent que leur réveil pourrait être douloureux
Lidane Liwl
Édition "Le faux recèle le vrai"

jeudi 26 septembre 2024

Modèle

 

« La voix, c’est tout ce que l’écriture peut littéralement voir.» 
 
Jean-Pierre Thibaudat
 
 

 
 – Que peut réellement voir une marionnette? Ce que nous voyons n’est pas ce qu’ils voient… Si ce que je suis, une marionnette, inerte et vivante pourtant, aide depuis longtemps les humains, ou mon maître en particulier, à penser ce qu'il y a en eux d'«autre»* que l'humain… alors il se pourrait que l’humain soit pour nous la possibilité de penser autrement… Faudrait-il alors vraiment les croire sur parole et les prendre pour modèle?




* Hélène Deschamps et Flore Garcin-Marrou, Les scènes philosophiques de la marionnette, L’entretretemps/Institut international de la marionnette 


Idéaux

 

« Toujours, quand les idéaux d'une génération ont perdu leurs couleurs, leur feu, il suffit qu'un homme doué d'une certaine puissance de suggestion se lève et déclare péremptoirement qu'il a trouvé ou inventé la formule grâce à laquelle le monde pourra se sauver pour que des milliers et des milliers d'hommes lui apportent immédiatement leur confiance; et il est de règle constante qu'une idéologie nouvelle - c'est sans doute en cela que réside son sens métaphysique - crée tout d'abord un idéalisme nouveau. Car celui qui apporte aux hommes une nouvelle illusion d'unité et de pureté commence par tirer d'eux les forces les plus sacrées: l'enthousiasme, l'esprit de sacrifice. Des millions d'individus sont prêts, comme par enchantement, à se laisser prendre, féconder, et même violenter, et plus ce rédempteur exige d'eux, plus ils sont prêts à lui accorder. Ce qui, hier encore, avait été leur bonheur suprême, la liberté, ils l'abandonnent par amour pour lui, pour se laisser conduire passivement; le ruere in servitium de Tacite se vérifie une fois de plus: une véritable ivresse de solidarité les fait se précipiter dans la servitude et on les voit même vanter les verges avec lesquelles on les flagelle."

Stefan Zweig
Conscience contre violence
Le Castor astral
 
 
 

 
 
 L'illusion est dans l'illusion: Elle n'est jamais aussi parfaite que quand elle nous fait croire que c'est une illusion...

 


– L'image, comme son nom l'indique, est un phénomène purement... imaginaire... tout comme… ce que nous disons
– ... les mots infusent dans la noirceur de la nuit qui s'ouvre.

mercredi 25 septembre 2024

 
 
bnmmnb
 
 

 – Serait-ce possible que je sois le seul à connaître ce que nul ne devrait ignorer…

 


Le Dr. Shuffle est mort.
– Je l'ai cherché longtemps. J'ai parcouru de longues journées pleines de désespoir et de tristesse sans pour autant renoncer. Et puis un jour, j'étais monté au sommet d'un tertre surmonté d'un arbre. Là, par de discrets indices, je reconnaissais que quelqu'un y était caché... De là-haut, entre les herbes hautes, il m'a semblé que ses deux mains blanchies par la mort se détachaient du reste de son corps...
"...Quand toutes les lettres en seraient des soleils je ne saurais les voir..."*
Un rayon de soleil, traversant le feuillage épais, jouait sur la poitrine de mon ami. On eut dit qu'une invisible main traçait et effaçait sans relâche des lettres de lumière qu'il tentait vainement d'attraper... Blessures fugitives qui lui donnait l'air de brûler.


Chanson


...Son cri est impossible
Son regard impassible
L’éclair s’est échappé
Ses yeux sont retournés
Où va la roue du temps...


L'homme s'efforce de ne pas renoncer à comprendre,
Il court après de terribles vérités qu'il ne peut saisir
Lidane Liwl
Édition "Le temps s'ignore"
*Le roi Lear


 

 – Comment pourrais-je savoir si tout cela n’est que mensonge? Qui donc ici saurait me le dire. N’aurais-je point d’autre signal que le bout de mon nez?
 
 

En toute hâte, le spectacle continue…il faut remédier au sort qui peut lui être contraire. Voilà que les artisans s'affairent. Chacun sacrifie son ego pour le bien commun. Cinq d'entre eux, parmi les meilleurs font don leur corps et disparaissent derrière l'image. N'écoutant que son courage, le directeur se hisse sur les épaules de deux costauds marchant l'un sur l'autre, dans le sens de la hauteur, chacun luttant pour son propre équilibre. Prenant la tête de la merveille annoncée, le directeur a pris de la hauteur. Le souffle lui manque. Il tremble de peur et de plaisir mélangés. Le pari est risqué. L'improvisation est totale, l'équilibre est fragile.
– La réussite dépend de l'éclairage, du talent de l'orateur et de l'équilibre de ceux qui me portent. Rien n'est gagné, sauf un peu de temps...

M.le Directeur n'attend plus le sauveur
Il est le sauveur. 
Pendant ce temps, parmi les spectateurs,
la rumeur et le tambour enflent et le clown sue et s'essouffle
Lidane Liwl
Édition "Tout est à venir pour celui qui sait oser" 

mardi 24 septembre 2024

«La littérature est un musée hermétiquement fermé, un musée des portes illusoires, des artistes préoccupés par les nuances de marron et par l'imitation la plus expressive des chambranles, des gonds, des poignées et du noir velouté du trou de la serrure. Il suffit de fermer les yeux et de suivre du bout du doigt le mur continu et infini pour comprendre qu'il n'existe aucune fissure ni ouverture dans cet édifice de la littérature. Sauf que, séduit autant par la beauté imposante des portes chargées de bas-reliefs et de symboles cabalistiques que par celles qui ont la modestie d'une porte de cuisine rurale avec une vessie de pore en guise de carreau, tu ne voudrais pas fermer les yeux, tu voudrais au contraire en avoir mille, pour le millier d'issues trompeuses qui s'alignent devant toi. Comme le sexe, comme les drogues, comme toutes les manipulations de notre esprit qui voudrait nous briser une fois pour toutes le crâne et prendre le large, la littérature est une machine à produire d'abord de la béatitude, ensuite de la déception. Ayant lu dix mille livres, tu ne peux que te demander: où était ma vie pendant ce temps-là? Tu as avalé en vrac les vies des autres, toujours d'une dimension juste inférieure à celle du monde ou tu existes, et peu importent les étonnants tours de force artistiques qu'ils représentent.
Tu as vu les couleurs des autres et tu as senti l'âpreté et la douceur et le possible et l'exaspérant d'autres consciences, qui ont éclipsé et poussé dans l'ombre tes propres sensations. Si au moins tu avais pénétré dans l'espace tactile d'autres que toi, mais la littérature t'a seulement fait, encore et toujours, tourner entre ses doigts. Tu t'es vu promettre l'évasion, perpétuellement et sur mille tons différents, mais on t'a volé jusqu'à ton semblant de réalité.
En tant qu'écrivain, tu t'irréalises à chaque livre que tu écris. Tu veux écrire sur ta vie et tu n'écris toujours que sur la littérature. C'est une malédiction, une Fata Morgana, une manière de falsifier le simple fait que tu vis, vrai dans un monde vrai. Tu multiplies les mondes quand ton propre monde serait suffisant pour remplir des milliards de vies.»
 
Mircea Cartarescu, Solénoïde, Points, p.66-67
 
 

 
 – Croyez-vous que nous soyons dans notre propre monde?
– Je crois qu’il vaudrait mieux se demander si nous vivons notre propre vie…
– Et, pendant que nous sommes dans les profondeurs, croyez-vous que nous puissions connaître ne serait-ce qu’un semblant de réalité?
– Vous savez parfaitement bien que ce sur quoi le rideau tombe n’est rien d’autre qu’un théâtre dont l’existence, à bien des égards, n’est point ce que l’on nomme la réalité… et encore faudrait-il que ce théâtre existe réellement…
– Que voulez-vous dire par là?
– Ce théâtre… si cela se trouve…personne ne l’a jamais vu…
– Et pourtant… nous y sommes…

 


Tel un scripte inspiré, le Dr. Logical se met à coucher ses visions sur le papier.
- Cela va m'aider à mettre de l'ordre dans ce désordre. Et par la même occasion, par de secrets indices, je pourrais me séparer de ces mots qui font partie d'une autre histoire et qui me poursuivent.
– "...D'ici-bas il m'a semblé que ses yeux étaient deux pleines lunes..."*
 
Chanson

...Je ne sais pas pourquoi
La roue ne revient pas
Le temps ne finit pas
Où va le temps des roses
Qui n’ont plus de chagrin...
 
L'homme, d'instinct sait que jamais
il ne pourra devenir maître de lui même
sans devoir renoncer à sa nature sauvage,
devenant ainsi l'image même de celui qu'il lui arrive d'abhorrer
Lidane Liwl
Édition "Le temps pèse ses mots"
*Le roi Lear

lundi 23 septembre 2024


Je savais qu'Efimov, manipulé comme une marionnette par une main venue d'un autre monde, n'était pas un imposteur, que l'imposteur, c'était l'autre, le «grand», le «regardant», le parfait-violoniste-moscovite, célèbre dans le monde entier, qui avait joué devant les têtes couronnées, à Paris et à Vienne, et qui avait daigné à la fin de sa carrière se rendre au fin fond de la Russie pour réjouir ces barbares de la grâce et de la noblesse de son art. Un art selon les règles, selon les canons respectés depuis des siècles, une musique parfaite, évidemment, mais humaine. Et son caractère humain était justement la monnaie d'échange qui fonctionnait partout, dans les palais et les chaumières, car il est si agréable de sentir le poids d'une pièce de monnaie dans le creux de sa main.
Alors que l'art inhumain, désordonné, qui ne prend en compte ni le fonctionnement de l'oreille humaine ni celui du violon, qui ne connaît pas de limite dans le mouvement des doigts sur les cordes, l'art venu d'un autre monde et descendu par magie dans le corps d'Efimov applique au creux de la main le tranchant d'une lame de canif, elle l'entaille sur la ligne de vie et tu en portes ensuite, et pour toujours, la cicatrice.»

Mircea Cărtărescu, Solénoïde, Points, p.65



Loin de là, l'indicible objet de leurs recherches se cherche lui-même...
"Où ai-je été ? où suis-je ? Le beau jour !... Je suis étrangement abusé... Mais je mourrais de pitié à voir un autre ainsi... Je ne sais que dire... Je ne saurais jurer que ce"*... soit là le centre de mon être profond... Je sais qu'il ne s'agit là que de mots perdus, abandonnés par leurs sens et dont la part de vérité qu'ils transportent se transforme indéfiniment...
 
Chanson

"...Au loin l’étoile brille
Je marcherais plus loin
Que la trace éphémère
D’un oiseau qui s’en va
Où va la roue du temps..."


L'âne, d'instinct sait que jamais
il ne pourra devenir maître de lui même
sans devoir renoncer à sa nature sauvage,
devenant ainsi l'image même de celui qu'il abhorre
Lidane Liwl
Édition "Le temps s'est fait mère"
*Le roi Lear

Obscurités

 
 
 


– Jamais je ne m'étais imaginé que cet cet être qui me semblait si étrange me ressemblait si profondément. Peu à peu j'eus l'impression que ce je lisais je l'avais écrit moi-même... Les paroles que j'avais sous les yeux représentaient plus que tout ce que j'avais pu dire au cours de toutes ces années... Ma confusion me rendait aveugle... J'étais incapable de comprendre qui était le Dr. Shuffle...Une deuxième chanson, comme un murmure dansant au rythme de la samba au-dessus du chaos...

Je vais vous raconter
une histoire oubliée
Je ne sais pas pourquoi
je ne l’oublierais pas...

se superposait à la première qui continuait, lancinante:

...Un sauvage dilemne
Plonge au fond de ses os
Au fond des océans
Je marcherais sans voix
J’avancerais sans voir...

Et puis, par-dessus tout, la voix, de plus en plus lointaine :

"...Voyez-vous là-bas cette dame au sourire béat, dont le visage ferait croire qu'il neige entre se cuisses, qui minaude la vertu, et baisse la tête rien qu'à entendre parler de plaisir ?.."*

Je ne la vois mais je l'entends...

L'homme s'efforce de voir et d'entendre,
fasciné, il accourt pour toucher de ses mains
ce qui s'éloigne aussitôt
vers ce qu'il croit être irréel
Lidane Liwl
Édition "Le temps s'amuse"
*Le roi Lear

dimanche 22 septembre 2024

Virevolte

  "Où ai-je été? Où suis-je? Le beau jour!... Je suis étrangement abusé... Mais je mourrais de pitié à voir un autre ainsi... Je ne sais que dire... Je ne saurais jurer que ce sont là mes mains..."*



D’innombrables questions traversaient l’esprit désordonné de Don Carotte. Des réponses, il en reçu. Mais ces réponses ne lui parlaient pas. Elles passaient, tout comme les questions et au final il lui était difficile de faire la différence entre elles. Ce n'était que des images traversant d’autres images le regardant et sur lesquelles flottaient, misérables récifs, les mots d’une chanson... à laquelle se superposaient des voix dont il ne percevait que quelques bribes arrachées par quelque tornade imprévisible, virevoltant selon des désirs inconnus.

"...Trace un chemin si loin
Si loin de ses deux mains
Pourtant le jour se lève
Où le soleil soulève
Un nouvel horizon..."

Le Dr. Logical, ne peut comprendre le sens profond
des images qui le portent l'espace d'un instant,
devenant ainsi aussi réelles et vivantes que sa propre pensée
Lidane Liwl
Édition "Le temps s'éteint"
*Le roi Lear

 
« Dès l’instant où ce mot – un mot, une phrase – s’est glissé entre eux, quelque chose a changé, une histoire a pris fin, il faudrait mettre quelque intervalle entre leur existence et ce mot, mais celui-ci comprend toujours cet intervalle même, quel qu’il soit, et aussi la distance qui les sépare et les en sépare. De cela, ils sont toujours très conscients ; il leur arrive, par ruse, par lâcheté, de demeurer loin l’un de l’autre, c’est facile, la vie les tient à l’écart. Et quand ils cessent tout à fait de se voir, quand la ville leur assigne des parcours de vie qui ne risquent pas de les faire se rejoindre, ils seraient satisfaits, si le contentement n’était aussi la manière dont l’entente de ce mot s’impose à eux. Ils ne sont donc pas satisfaits, ce qui suffit à rendre vains et l’éloignement et l’oubli.»
 
Maurice Blanchot, L'entretien infini
 
 

C'est ainsi que dans nos obscurités se raconte des histoires déroutantes qui se jouent de la matérialité à laquelle nous sommes soumis. Avec un peu d'entraînement, il est possible de voir en plein jour ce qui dans la nuit semble se cacher. C'est précisément là que se trouve le piège. Rien ne se cache et rien n'apparaît. Nous ne voyons que ce que nous voulons voir... et entendre... 

 


– Que vient faire ici Pinocchio l’Autre?
– Il ne vient pas… c’est ici qu’il vit…
– Je croyais…
– Croyez ce que vous voulez… l’histoire est un tout, non seulement difficile à circonscrire…
– Mais?
– Difficile à dire imaginer.




samedi 21 septembre 2024

 


De longues lignes apparaissent sur la surface du miroir et, comme l’esprit du Dr. Logical, son image se brouille.
– Résumons! se dit-il. Je suis à la recherche du Dr. Schuffle qui a disparu en recherchant la trace de cet être exceptionnel dont nous ne devons pas parler et que nous avons pour mission de capturer. Il est fort possible que des liens se soient créés entre les deux chemins. Il est de plus en plus probable que les cadavres criblés de flèches soient aussi en relation avec cette quête... Dans l'ombre des êtres vivent des esprits dont certains rêvent de nous perdre...
Sans cesse les vagues refluent et s'éloignent... Le D. Logical fait silence et laisse les voix suivre leurs chemins.
- ..."mes questions dicteront les réponses"...*
"...Dans l’ombre des émois
Sous un ciel se promène
Un chemin qui traverse
Le monde de ses pas
La triste nuit s’étend..."

Le Dr. Logical, ne peut atteindre le centre même de sa pensée
Il s'étonne que de simples pensées
puissent, l'espace d'un instant,
devenir aussi réelles et nues que la plante de ses pieds
Lidane Liwl
Édition "Le temps s'étend"
*Othello