lundi 30 septembre 2024

 

« Je veux écrire un compte rendu de mes anomalies. Dans ma vie obscure en marge de l'histoire et que seule une histoire de la littérature aurait pu fixer dans ses taxinomies, il s'est passé des choses qui d'ordinaire n'arrivent pas, ni dans la vie ni dans les livres. J'aurais pu écrire cela dans des romans, mais le roman brouille le sens des actes et les rend ambigus. Je pourrais les garder pour moi, comme je l'ai fait jusqu'à présent, et y penser chaque soir, pelotonné sous la couverture, jusqu'à me faire éclater le crâne, pendant que dehors la pluie cingle furieusement les carreaux. Mais je ne veux plus les garder seulement pour moi. Je veux écrire un rapport, bien que je ne sache pas comment, ni ce que je ferai de ces pages. Je ne sais même pas si c'est le moment opportun. Je ne suis encore arrivé à aucune conclusion, à rien de cohérent, mes actes sont de vagues aspérités sur l'émail banal de la plus banale des vies, des crevasses minimes, de petites inadvertances.
Ces formes informes, ces allusions et insinuations, ces accidents du terrain qui sont en soi insignifiants mais qui, ensemble, deviennent une chose étrangère et obsédante, ont besoin d'une forme elle-même nouvelle et inhabituelle pour être relatées. Ni un roman, ni un poème, car ce ne sont pas des fictions (ou pas entièrement), ni non plus une étude objective, car nombre de mes actes sont d'une singularité que même les laboratoires de mon esprit 
ne parviennent pas à reproduire. Je n’arrive même pas dans le cas de mes anomalies, à distinguer entre le rêve, les souvenirs anciens et la réalité, entre la fantaisie el le merveilleux, entre ce qui procède de la science el ce qui naît de la paranoïa. Ce que je suppose, c'est qu'en réalité mes anomalies prennent leur source dans la zone du cerveau où ces distinctions ne sont pas valables, et cette zone de mon cerveau est elle-même une anomalie de plus. Les actes mentionnés dans mon compte rendu seront fantomatiques et pâles, mais il en va ainsi des mondes où nous vivons simultanément.»

Mircea Cartarescu, Solénoïde, Points





Juste avant que le rideau ne s'ouvre, le directeur juché en équilibre plus ou moins instable sur les épaules des voltigeurs, eut une vision dont il se souviendra longtemps.
– Je me vis transporté sur l'océan déchaîné. Planté à la poupe d'une arche légère tirée par deux vagues tourbillonnantes, je portais la tranquille assurance de celui qui cherche et n'est jamais sûr de rien. Je traversais vaillamment l'obscurité. Des anges avaient pris la place des deux colosses qui me portaient. J'avais revêtu un habit couleur de feu et de nuit... Je regrettais que personne ne puisse me voir en cet attelage..
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Le regard de M.le Directeur n'attend plus que d'être vuPendant ce temps, parmi les spectateurs,
peu se doutent de l'apparition et de la farce qui va leur être offerte
Lidane Liwl
Édition "Tout est à là pour celui qui sait le voir"

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