vendredi 27 septembre 2024

Rescapé

 

 
« Vous avez toute l’allure, et le mystère d’une société secrète. Lorsqu’il vous arrive de parler de votre Compagnie, l’on croirait qu’il s’agit d’un simple salon, ou d’un club. Vous ne vous piquez de rien moins que de former un corps savant, et vous nommez entre vous confrères plutôt que collègues. Voici l’un des traits, non le moins frappant, de votre mystère: c’est qu’ayant une fois pour toutes résolu de vous consacrer à l’étude du langage dans ses formes les plus complexes comme les plus simples, du vocabulaire à la rhétorique, vous avez impitoyablement rebuté depuis une centaine d’années tous les savants qui avaient fait de ce langage leur étude particulière: l’on dirait qu’il vous est une sorte de chasse gardée ou bien qu’il vous a été donné de le saisir par un biais qui n’appartînt qu’à vous. Messieurs, c’est à ce mystère que vous avez bien voulu m’inviter à prendre part. C’était me proposer une tâche difficile, mais somme toute grave et joyeuse. Puis-je ajouter sacrée?»

Jean Paulhan, extrait de son discours de réception à l'Académie française, 1964

 

 
 

 

Il se pourrait, on le dit, que Monsieur le Directeur n'ait pas de nom. Étant donné qu’il n’en a pas reçu, il est du petit nombre des hommes qui n'ont pas laissé au monde ce que chacun désirât que l'on connût de lui et de sa vie: un nom. Personne n'eût pu se douter, surtout pas lui, qu'il était le petit-fils d'un archevêque et de la mère supérieure d'un couvent de grande renommée, que nous ne citerons pas. Pour des raisons qu'il est facile d'imaginer, le fruit de cet amour, conçu pendant un instant de relâchement coupable, c'était carnaval, fut bien vite confié aux bons soins d'une nourrice. Celle-ci, pour d'obscures raisons disparût mystérieusement une année plus tard, au cours du carnaval suivant. Ce jour-là, le petit venait de faire son premier pas au son d'une musique qu'il semblait reconnaître. À nouveau orphelin, le petit fut recueilli par une famille fort pauvre de biens mais riche de son esprit éclairé. Il errait au petit matin, accompagné par un ânon au pelage bleuté par la nuit. Ils étaient les seuls éveillés sur la route déserte. Le petit garçon tenait en sa main un petit bâton avec lequel il jouait. "Seuls rescapés d'une nuit de folie" dira-t-il plus tard.

Quand le rideau s'ouvre, l'esprit se ferme
Certains dorment, parmi les spectateurs
Peu se doutent que leur réveil pourrait être douloureux
Lidane Liwl
Édition "Le faux recèle le vrai"

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