jeudi 5 avril 2018

Un lent processus


" J’avais réglé deux magnétophones, qui produisaient deux boucles de la voix de Frère Walter répétant : « It’s gonna rain » (Il va pleuvoir). Les boucles étaient exactement de la même durée et je les faisais tourner à la même vitesse sur les deux machines. Je voulais créer une relation spécifique entre deux identités ; il fallait donc que j’aligne ces boucles. En tentant de les régler, je me suis aperçu que les imperfections de la bande et les infimes différences dans la vitesse des moteurs produisaient un léger déphasage si je cessais d’y toucher. J’ai laissé les bandes tourner seules et elles ont graduellement commencé à se disjoindre. J’ai réalisé que je tenais la solution à ce qu’un compositeur considérerait comme un problème de structure musicale : comment s’émanciper d’une situation initiale, pour aller ailleurs. C’était un moyen d’explorer différentes configurations à l’aide d’un matériau unique, et jamais à avoir à élaborer de transitions. Le processus était continu, homogène. Je m’intéressais au timbre de la voix, bien sûr. On aurait pu écrire des centaines de pièces à partir de cette voix et, finalement, n’en réaliser qu’une seule dotée d’un quelconque intérêt musical. Or la logique de cette pièce ; si je puis dire, proposait un nouveau système. Dans la première partie, la bande joue contre elle-même. D’abord bien calée, elle glisse peu à peu et se déphase complètement, avant de revenir à l’unisson avec elle-même. J’ai commencé à comprendre que ce qui était intéressant, c’était la lenteur du processus et sa continuité. Cette première pièce incarne littéralement le processus de déphasage, que j’ai donc découvert en observant deux magnétophones se désynchroniser. Mais ce qu’on retire avant tout de cette expérience c’est un sentiment d’impersonnalité, puisqu’on ne fait qu’observer un processus se réaliser en dehors de tout contrôle. La précision logique de ce phénomène est un autre aspect intéressant. Rien n’est laissé au hasard, dans tous les sens du terme. C’est un processus on ne peut plus, déterminé, plutôt austère et d’une pureté absolue."

Steve Reich, Rien n’est laissé au hasard, 1972 in Steve Reich. Différentes phases 
Trad. Christophe Jacquet, (Présence graphique, 2016)


L'enfant Lune, comme souvent, se parle...

– Avez-vous déjà remarqué comment nous pensons revoir dans nos rêves les plus fous ce qui dans le passé semblait être oublié et qui, peut-être un jour resurgira dans le futur?
– Un processus déterminé, plutôt austère, d’une pureté absolue? Ou l'effet du hasard... quand même? Ne s'agirait-il pas simplement du passage du temps? Ou encore la tendance naturelle du regard à lentement se laisser modifier en permanence...

L'enfant Lune, c'est certain, n'entend rien qui ne puisse être questionné.

– Un fait est aussi certain: rien ne reste en permanence. Tout change constamment... Même si je ne change pas dans le même temps que le monde, je suis ce monde tout autant que toutes choses.

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