« Symétriquement, la vision angélique de la vie démocratique qu’adoptent certains intellectuels dénonciateurs du complot est tout aussi préjudiciable. Le travail de définition de tout ensemble exige une saisie lucide des rapports de force et une analyse des stratégies des acteurs qui ne peuvent exclure a priori l’existence d’un complot, sans pour autant l’édifier en alibi identitaire.
Le conspirationnisme est un mode de pensée qui entend rendre compte de l’allocation du pouvoir au sein d’un système social donné. Il repose sur trois prémisses simples: tout est lié, rien n’arrive par hasard, et les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Paradoxalement, on pourrait reprendre ces trois maximes et les ériger en principes de la science galiléenne ou copernicienne. En effet, si la terre tourne autour du soleil, l’expérience de nos sens, qui conduit à affirmer le contraire, nous trompe. Toute la différence réside dans l’interprétation de la dernière maxime. Chez Galilée, le soupçon peut être levé par l’expérimentation et le sens commun peut retrouver une validité. Dans le conspirationnisme, au contraire, les apparences sont nécessairement des mystifications analogues à l’idéologie.»
– Alors! Selon votre maître, tous des crétins ?
– Non, tout de même... pas tous...
– Vous laissez planer ce qui ressemble à un doute!
– Non, non, non, pas tous...
– Mais...
– Mais beaucoup quand même... disons une bonne proportion. En tous cas une proportion suffisante pour obtenir une majorité...
– Quelque chose me paraît curieux...
– Dites-moi !
– Ceux que vous appelez crétins...
– Ce n’est pas moi qui les ai appelé ainsi... je ne me suis pas opposé à ce ce que vous aviez nommé par vous-même ... c’est tout.
– Comment les appelleriez vous alors?
– Je ne leur donne aucun nom. Je dis simplement qu’ils agissent comme des crétins.
– N’est-ce pas la même chose ?
– Au contraire.
– Cependant, vous en conviendrez, ils ont su, dans cette affaire qui, je le crois, a touché votre maître, ils ont su, je le disais, manœuvrer de telle manière qu’ils aient sa peau. Pardonnez moi l’expression...
– Et alors?
– Et alors c’est qu’ils ne sont pas si crétin que ça...
– C’est parfaitement juste et vient à l’appui de ce que je vous disais... Ils ont su faire en sorte de ne plus avoir à réfléchir.
– Ce qui est leur droit...
– On peut le dire...
– Mais?
– Alors il leur faudrait revoir leurs affirmations et prétentions... mais, vous savez, cela ne regarde point mon maître...
– Pourquoi alors parle-t’il encore d’eux?
– Il ne parle pas d’eux en tant que tels.
– Voulez vous préciser ?
– Il remet en place ce qui est manifestement faux et réfute ce que l’on aimerait lui faire dire.
– Un peu comme nous...
– C’est vrai...
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